TRAIL DES HOSPITALIERS 2011 : la Clef des Chants
En octobre, j’aime retrouver les Causses et les Cévennes. Cette région, c’est un hymne à la nature. Les châtaigniers, ormes, hêtres, chênes et noyers se parent de couleurs automnales magnifiques, allant du jaune or au terre de Sienne, du rouge vermillon au carmin. C’est aussi une incursion dans l’histoire. Les légendes, cités et traditions réveillent en nous des imageries de chevaliers, de châteaux et de trésors. J’ai découvert l’Aveyron et le beau village de Nant à l’occasion de la Grande Course des Templiers à mes tous débuts en trail, en 2003. Cette épreuve était déjà une référence et s’inscrivait alors parfaitement dans ma quête de nature et d’authenticité.
Depuis lors, le trail s’est démocratisé. Ce qui est un bien pour tous, car il permet un vrai retour vers la nature, tant rejetée pendant des années par nos sociétés urbaines. Pour autant, le phénomène trail prend une ampleur telle que certains préemptent cet esprit trail. Que même les précurseurs de cette pratique en France en viennent à transfigurer le trail en lui-même. D’une pratique en pleine nature, avec une éthique, un état d’esprit, on en fait un sport avec ses codes, ses règlements, ses modes, son marketing. Le trail est devenu un marché, un véritable business. C’est l’évolution naturelle de toute activité humaine. Pour autant, il ne faut pas y perdre son âme, au risque de n'être plus qu'un ersatz.
J’étais un fervent défenseur des Templiers à Nant. J’ai tant aimé cette épreuve à laquelle j’ai participé à six reprises. La 15ème édition me laisse encore un souvenir intact (Chercher Bonheur). Oui mais voilà. Le cadre ne correspondait plus à la volonté des organisateurs. Toujours plus de monde. Toujours plus d’épreuves. Toujours plus de sponsors. Toujours plus… Cette fuite en avant, cette course vers le gigantisme… va selon moi à l’encontre même de l’esprit trail. A tout le moins, cela nuit aux valeurs de convivialité, de partage et de respect. C’est une tendance qui s’affirme au fil des ans, véhiculée par les médias, par plusieurs équipementiers et par certains traileurs eux-mêmes.
Aussi, lorsqu’une nouvelle épreuve fut annoncée à Nant, cela a tout de suite suscité un vif intérêt de ma part. L’objectif des organisateurs était de revenir à de l’authenticité et à de la simplicité, à une épreuve à taille humaine permettant à chacun de profiter pleinement de cette magnifique région des Causses et des Cévennes. Emprunter à nouveau des petits sentiers, faire découvrir des endroits magiques, permettre à nos supporteurs de nous suivre facilement. Bref, le partage, le respect et l’engagement… essentiels à mes yeux. Et l’organisation a composé une belle partition pour ce Festival des Hospitaliers… une ode à la nature et à l’effort sportif… et au trail, tout simplement.
Entre chiens et loups
Il est 5 heures, Nant s’éveille. Ambiance assez calme, empreinte d’une certaine mélancolie. Les lumerottes scintillent et vacillent entre les arbres centenaires du Jardin du Claux. Plus de 400 participants sont réunis là, au pied du Roc Nantais, pour la seconde édition du Trail des Hospitaliers. L’an passé, j’étais au Grand Raid de la Réunion (Des Fous et des Chimères). Le temps avait été exécrable. Cette année, ce sera une journée radieuse. Nous voilà bien chanceux. L’ombre des Templiers est encore là. On s’attend aux beaux mots de Gilles Bertrand qui transcendaient ces lieux chargés d’histoire. On se remémore « Ameno », la musique d’Era, qui donnait des frissons. La magie des feux de bengale. La page est tournée. Les Hospitaliers succèdent désormais aux chevaliers du Temple. Une austérité qui peut tout de même surprendre. Mais l'organisation est encore bien jeune.
Vers 5h05, lorsque tous sont pointés, nous partons dans les ruelles de Nant. Et ça fait un bon groupe de participants. Déjà, il faut se faufiler pour trouver sa place. Les encouragements sont bien fournis. Dés lors, il s’agit de ne pas trop s’emballer. La portion de route est réduite au congru pour nous permettre d’aller chercher un chemin qui nous conduira au hameau du Frayssinets. Ça s’étiole déjà assez bien. Je regarde derrière moi et le flux des lampes frontales dessine une belle courbe. J’aime toujours autant la progression nocturne. Je découvre par la même ce nouveau tracé qui reste assez roulant. Au niveau de Comberedonde, nous franchissons la route pour aller rejoindre le plateau et le Causse. Le brouillard est de plus en plus dense. Le gars devant moi fait des erreurs d’orientation. Il regarde trop devant ses pieds… et pas assez loin devant. Du coup, c’est moi qui passe en tête. Balisage précis et rapproché.
Nous parcourons une longue piste, et bientôt, voilà le village de Sauclières. 16 km de fait environ, pour à peine 300 m de dénivelé positif. Du roulant donc. Du piégeux à souhait. Je me ravitaille d’un gel (ce que je fais rarement d’ailleurs), pour bien appréhender la suite. Je prends mon temps dans les ruelles de Sauclières, discutant un peu avec des bénévoles et mes supporters qui sont déjà là. Quelques fusées passent. Je reste très surpris par le rythme que s’imposent certains traileurs. Soit ils n’ont pas bien lu le topo de la course, soit ils estiment qu’ils ont de grandes capacités. Car jusqu’à présent, ce n’est même pas le hors d’œuvre que les organisateurs nous ont servi… à peine la Cartagène.
Je repars d’une bonne foulée. Bien vite, voilà un bon bain matinal. Nous passons une section d’eau à mi mollet, qu’il est impossible d’éviter. Bien frais, mais ça passe. Nous franchissons un pont au dessus de l’ancienne voie ferrée pour emprunter une petite portion bitumée. Les premières lueurs de l’aube. J’entame une belle descente et me libère de ma frontale. Cap sur Saint Jean-du Bruel, où j’ai mes habitudes de villégiature depuis plusieurs années au Domaine de Castelnau. Encore un accueil bien sympathique. Je suis pointé vingtième. Un peu surpris par ce classement, car je pensais qu’il y avait plus de monde devant. Désormais, il s’agit d’atteindre ce fameux Pic du Saint-Guiral, à 1366 m.
Une terre de légendes
Le Saint-Guiral est un sommet du Parc National des Cévennes, dans le département du Gard. Un pic associé à une belle légende datant des Croisades, comme en regorgent les régions françaises. Je ne sais si nous sommes de glorieux chevaliers comme le furent Géraud (Guiral), Loup et Alban, mais la montée pour atteindre ce point culminant suscite, une nouvelle fois, quelques questionnements. Faut-il courir ? Faut-il marcher ? Je fais le choix de l’alternance, afin de ne pas puiser trop d’énergie. A la Croix des Prisonniers (km 26), les bénévoles m’annoncent que désormais, ça va monter sec. Je les remercie. Et souris en même temps dans mon fort intérieur. Pas que je sois présomptueux, loin de moi cette idée. Mais c’est vrai que nous n’avons pas tous la même notion du pentu. Et cette montée, on ne peut pas dire qu’elle soit vraiment costaud. Il s’agit seulement de bien la gérer.
En tant que « traileur-montagnard », ce type de profil n’est pas vraiment à mon avantage. Moi, j’aime quand ça monte vraiment sévère. Ici, c’est quand même assez tranquille. D’ailleurs, je me demande vraiment pourquoi certains s’embarrassent de bâtons sur un tel parcours… Bientôt, les premiers rayons du soleil transpercent – enfin – le brouillard. Nous n’aurons pas droit au beau lever du soleil sur le Saint-Guiral. En revanche, voilà une magnifique mer de nuages. Dans tous les cas, selon la légende, Géraud avait allumé un grand feu au sommet du Saint-Guiral. Tout comme Loup au Pic Saint-Loup et Alban sur le Mont Saint-Alban. Du coup, même sans le soleil… on aurait trouvé notre chemin, à défaut d’un large panorama sur la Mont Aigoual, les Cévennes et la Méditerranée.
Km 36. Sommet du Saint-Guiral. Je prends le temps de contempler le panorama et de prendre une photo de ce grand rocher de granit qui me surplombe. A partir de là, il y a 8 km pour rejoindre Dourbie. Là bas, nous trouverons le premier ravitaillement complet de ce Trail des Hospitaliers. Il faudra en effet avoir parcouru 44 km pour pouvoir se restaurer. C’est un bon choix, car cela oblige chaque participant à préparer et à gérer son autonomie en termes d’alimentation. C’est une composante essentielle du trail et encore plus de l’ultra-trail. Savoir compter sur soi, plutôt que sur les autres. A à fortiori, être en mesure d’être à la disposition des autres, en cas de besoin.
Car lorsque je parle des valeurs du trail (engagement, respect et partage), ce n’est pas uniquement pour le choix des mots, et parce qu’ils font bonne figure en ces temps matérialistes. Non. Ces valeurs sont essentielles, car si nous pouvons aller dans des coins aussi inaccessibles, aussi reculés… c’est possible suivant une seule condition : la solidarité entre participants. L’éthique même du trail (et c’est encore plus vrai en montagne et en haute-montagne), c’est celle de porter secours à autrui. Qu’importe le classement, le temps perdu. En s’attachant à préserver ces valeurs, on préserve l’avenir de notre sport. Si l’individualisme prévaut, feu alors de ces parcours authentiques et magiques. Par contre, c’est clair que les records sur les épreuves tomberont. Mais est-ce cela le trail ?
Epicure sommeille en nous
La (fausse) descente directe sur Dourbie est un pur régal avec de beaux points de vue sur toute la Vallée. On réalise sur toutes ces portions la chance que nous avons de pouvoir courir dans des sites aussi beaux. Pour rejoindre Dourbie, le tracé nous fait passer par les hameaux de Ressançon et de la Rouvière. L’occasion de voir de belles demeures cévenoles remarquablement préservées et restaurées. Les sections en sous-bois sont très agréables, mais exigent une grande vigilance quant à la pose de pieds. Les nombreuses feuilles cachent les pierres et les mousses, et c’est glissant à souhait. L’accueil chaleureux à Dourbie est bienvenu. Je vais prendre le temps de bien me ravitailler. Et le choix est large en sucré et salé. Je vais privilégier le pain, le fromage et la bière. Et oui, depuis le Tor des Géants (Les Passes-Murailles de l’Inutile), je suis un adepte de la bière en course, avec modération tout de même.
Je suis un épicurien, c’est clair. Et cette bière a un double effet pour moi. Elle désaltère. Ce qui est excellent. Et elle me fait oublier une douleur lancinante que je traine depuis une chute aux sports d’hiver et qui me cause pas mal de soucis (lombaires et cervicales). Bref, me voilà prêt pour entamer la deuxième partie du parcours, car les 30 km qui s’annoncent sont plus techniques. Je repars en finissant mon repas frugal, sous de nombreux encouragements. Point de Crête du Suquet (le cauchemar de certains au temps des Templiers), nous allons rejoindre Trèves par un tout nouvel itinéraire. Nous cheminons dans la Vallée de la Dourbie, qui prend sa source au Mont Aulas, dans le massif voisin du Mont Aigoual. C’est du tout tranquille. Parfait pour une bonne digestion.
Que j’ai aimé ce petit morceau de Roquefort. Avec la chaleur surprenante de ce dimanche 30 octobre, il convient de bien s’hydrater et de refaire le plein de sodium et de sels minéraux. Je ne sais si c’est le fruit de l’expérience, mais j’ai pris l’habitude de profiter à chaque fois de chaque instant que nous offre un trail. Je sais exactement pourquoi je prends part à ce genre d’épreuve. Je fais confiance au traceur dans ses choix de parcours, je remercie d’un sourire les bénévoles et les supporteurs de leur enthousiasme. Encore une fois, nous sommes de sacrés chanceux d’avoir la forme et la santé pour être là. Les Papillons de Charcot nous le rappellent de leur présence solidaire (n’hésitez pas à venir à la troisième édition du Trail du Grand Vignoble contre la SLA, le 11 mars 2012, dans le Bergeracois).
Nous rejoignons le Serre du Cade par un sentier plutôt technique, qui préfigure de la suite… Bientôt nous voilà sur les hauteurs. Nous dominons le village de Trèves. Toute cette portion est une nouvelle fois fort agréable. Le sentier nous conduit parmi les buis odorants. La descente est un peu engagée. Il faut être prudent pour rejoindre Trèves, km 54. J’en profite pour bien me ravitailler et bien boire. Car ensuite, nous allons atteindre le Causse Noir en longeant toute la Vallée du Trévezel. Le topo précisait un sentier technique… et il le fut. Impossible à courir. La marche rapide est le meilleur moyen de progresser en limitant le risque de chute. C’est une section éreintante. Mais la vue sur les gorges est de toute beauté. Les couleurs automnales magnifient ce paysage.
De l’authenticité et de la simplicité
Lorsque j’arrive sur un petit bout de route… c’est presque un soulagement ! Les bénévoles me demandent si cela va bien. Je leur réponds par l’affirmative… mais leur disant combien ce tracé est difficile. Pas un des concurrents devant moi ne leur à dit le contraire… et derrière, je pense que ce fut pareil. Du rustique. C’est clair. Me voilà au dessus de Saint Sulpice. Il me reste une bonne montée pour rejoindre le Causse Noir, dominant celui du Larzac. Une montée que j’apprécie, car elle offre de beaux points de vue sur les Gorges du Trévezel. Une fois sur le Causse, je me remets à bien courir. C’est énergisant. Depuis le début, je ne regarde que très peu ma montre.
Au bord du Causse Noir, je vois bien Cantobre juste en face de moi. Pour atteindre ce village, il faut d’abord quitter le Causse. Il s’agit d’une belle descente, bien technique… comme je les aime. Ça rappelle les courses de skyrunning. Les mains sont utiles pour certains passages. Quelques cordes facilitent la progression pour passer sous les falaises, sur lesquelles plusieurs gars font de la varappe. Pendant 500 m environ, on longe le Trévezel, qu’on franchit à gué à mi-mollet. Il reste ensuite une petite grimpette pour arriver au cœur du village suspendu de Cantobre, km 67. Un magnifique site que le traceur nous fait découvrir en nous en faisant faire tout le tour pour atteindre le dernier ravitaillement de ce trail définitivement exigeant. Formidable accueil des bénévoles et d’un public nombreux très familial.
Reste une petite descente vers la rivière asséchée… pour ensuite entamer la remontée vers le Causse Bégon et le fameux Roc Nantais. C’est un final assez costaud. Il faut vraiment avoir gardé des réserves pour pouvoir bien terminer. C’est mon cas. Lorsque je passe sous le Pont de Cantobre, les « aller Pilou » sont nombreux. Je marche dans le sous-bois pour rejoindre les hauteurs, puis je trottine sur le haut du Causse et c’est bientôt la descente du Roc Nantais, 300 m de négatif. Je me lâche littéralement dans cette section finale. Et j’y prends un vrai plaisir. Je longe le muret, passage du Pont de la Prade enjambant la Dourbie, une courte montée, puis c’est l’arrivée au cœur du Jardin du Claux.
75 km de parcourus depuis mon départ matinal. Un peu plus de 9h30 pour une moyenne de 8km/h. Nant, ce beau village entre les Cévennes et les Causses, est un site de prédilection pour le trail, tout comme les villages traversés que sont Sauclières, Saint Jean du Bruel, Dourbie, Trèves, Cantobre. Avec les Hospitaliers, les organisateurs et les bénévoles (dont 10 % sont des Nantais) nous donnent les clefs de leur pays. Ils nous font partager leur amour de leur culture, de leur patrimoine et de leur histoire. Un grand merci pour ce beau week-end passé en votre compagnie. Et bonne continuation pour ce Festival des Hospitaliers, respectueux de son environnement et ses participants. Bravo à tous.
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