COURSE DU MONT CAMEROUN 2011 : Parlez-moi d’Espoir
L’Afrique, berceau de nos ancêtres, recèle quelques beaux sommets mythiques, comme le Kilimandjaro ou le Mont Kenya. Des montagnes bien différentes des nôtres. Des sommets associés à des légendes et à de la magie. Le Mont Cameroun fait partie de ceux là. Culminant à plus de 4000 m d’altitude, cette montagne a pratiquement les pieds dans l’océan. Ses roches volcaniques lui donnent un aspect tout en rondeur, le « char des dieux » domine tout le pays.
Le Cameroun, c’est un pays de 19 millions d’habitants, dans l’Afrique subsaharienne. C’est également un pays à l’histoire très ancienne, avec plus de 240 ethnies. Un pays où l’espérance de vie est de 51 ans. Un pays de contraste extrême entre la Capitale Yaoundé, les plages de Limbé, les parcs nationaux du nord, les mines de cristaux, les champs pétrolifères, les plantations de bananiers, les mototaxis de Douala… Une terre marquée par la tradition, l’adversité, le sang, la sérénité et l’espoir.
Si je suis là, avec mon ami Niko, pour un court séjour dans ce pays, c’est pour une raison simple : participer à la 16ème édition de la Course du Mont Cameroun, la « Course de l'Espoir » ou en anglais (le Cameroun est francophone et anglophone) : « Race of Hope ». Une épreuve de course à pied en montagne réputée comme l’une des plus difficiles au monde. Pourtant, ce n’est pas cette difficulté qui nous a attirés, mais ce qu’est intrinsèquement cette course. A savoir, une véritable épreuve, organisée par et pour des Camerounais. Et non pas une de ces nombreuses courses qui fleurissent un peu partout, mises en œuvre par des « tours opérateurs du trail », avec une poignée de participants, essentiellement européens, capables de mettre beaucoup d’argent pour participer à des épreuves exotiques.
La Course du Mont Cameroun a une histoire et est ancrée dans l’esprit collectif camerounais comme un véritable défi. Il s’agit véritablement d’une course contre soi pour atteindre le sommet, et en redescendre le plus vite possible. Les vainqueurs sont de vrais héros pour tout un peuple. Les participants camerounais sont issus des 10 régions du Pays. Des épreuves qualificatives ont eu lieu pour sélectionner les meilleurs d’entres eux (hommes et femmes) sur des sites tels que le Mont Mbankolo, le Mont Metchou ou le Mont Ebolowa. Plus de 580 coureurs camerounais ont pris part à cette édition 2011 de la Course de l’Espoir. 33 étrangers ont eu la chance de fouler les flancs du Mont Cameroun, dont moi-même et Nicolas.
Si tu veux avoir peu de temps, ne fait rien
Nous sommes restés 3 jours au Cameroun. Un séjour express, un séjour intense. Pourquoi si peu de temps ? Pour une raison simple : les aléas de l’Afrique. Notre projet de participer à la Course de l’Espoir remonte à un certain temps. Nous souhaitions le concrétiser. Et nous y sommes arrivés. Ce ne fut pas des plus simples. Je ne vais pas épiloguer sur toute cette phase en amont, ni me perdre en diatribe sur les dysfonctionnements rencontrés. Disons simplement que pour prendre part à la Course du Mont Cameroun, il faut vraiment être motivé et prêt à s’investir pleinement dans le projet.
Je m’y suis d’ailleurs tellement investi… que j'y suis arrivé très fatigué, en laissant beaucoup d’influx nerveux les derniers jours. Le plus simple aurait été de passer par ces intermédiaires peu scrupuleux, qui vous demandent près de 2000 euros pour 5 jours sur place. Mais pour moi, la préparation d’un projet est une phase si enrichissante. J’aime chercher les informations, nouer des contacts, bâtir un programme… cela fait partie de l’aventure.
Petit retour en arrière. A la conférence de Presse de Yaoundé, en septembre 2010, la date de la Course de l’Espoir est annoncée pour le samedi 19 février 2011. Parfait, nous bloquons donc cette période pour nos congés. Octobre et novembre seront consacrés à la recherche de financements… que nous ne trouverons pas. Il faudra compter sur nos économies. Concernant la course elle-même, et après de multiples recherches… me voilà en contact avec Idriss Linge, début janvier 2011. Une personne très sérieuse et réactive. Idriss est journaliste pour le site journalducameroun.com.
Mi janvier, nous voilà en possession du fameux dossier d’inscription. Tout se finalise. Billets d’avion achetés… il nous reste juste la demande de visa à faire. Mais tout ne peut pas être si simple. Moins d’un mois avant l’épreuve, la Fédération d’Athlétisme du Cameroun m’envoie un mail me disant que la date est décalée d’une semaine, soit désormais le samedi 26 février 2011. Nous sommes dans la pire des situations. Nous avons des billets nous échangeables, ni remboursables. Nos congés sont posés aux mauvaises dates. Cette course de l’espoir… tourne au désespoir.
- Cliquer pour zoomer sur les deux lettres d'invitation -
Soit nous abandonnons tout, et nous perdons chacun pratiquement 800 euros déjà engagés (billets d'avion, billets de train, vaccin fièvre jaune et hépatite, frais d'inscription à la course (100 euros), frais de licence à la Fédération d'Athlétisme du Cameroun). Soit on se bat, on cherche des solutions, on négocie… et on espère. Nous avons opté pour la deuxième posture. Et nous avons réussi. La veille de notre départ, le mercredi 23 février, nous avons reçu des billets d’avion offerts par la Fédération d’Athlétisme du Cameroun. Et le jeudi 24 février, nous avons pu nous envoler pour notre destination. Si tu veux avoir beaucoup de temps, fait beaucoup de choses.
A nous le Mont Cameroun
Avoir des rêves, c’est bien. Les réaliser, c’est encore mieux. En ce mois de février 2011, nous réalisons donc ce rêve de participer à la mythique course du Mont Cameroun. Et ce ne fut pas une simple formalité. Désormais, il faut la faire cette épreuve. Et c’est là que le bât blesse. Depuis un mois, j’ai laissé beaucoup d’énergie pour sauver ce projet. Qui plus est, je suis dans une période professionnelle très chargée et j'ai donc dû réduire mes entraînements. Pour compléter le tableau, le contexte des révolutions dans les Pays arabes inquiète nos proches. Est-ce vraiment sérieux de partir ?
Nicolas, de son côté, s’est blessé au mollet gauche. Il ne court plus depuis 4 semaines. Je finis par me dire que ce projet est maudit. Mais comme je suis d’une nature optimiste, je cherche toujours du positif dans toute situation. Et là, je me dis que dans la vie, il ne faut rien lâcher. Qu’il faut savoir se remobiliser, avancer, apprendre de ses échecs. Et il faut également relativiser les choses. Car il s’agit avant tout de prendre part à une épreuve de course à pied en montagne. Ce n’est pas plus.
Enfin, normalement. En effet, la Course de l’Espoir est à la démesure du Mont Cameroun. Et elle s’offre désormais à nous. Saurons-nous être à la hauteur du Fako ? A posteriori, je me dis que tous les éléments étaient en ma possession pour me dire que, me concernant, ce serait très difficile. Car avec tous ces aléas… on en oublie presque la difficulté de l’épreuve en elle-même. Avoir le dossard et venir au Cameroun fut déjà un tel aboutissement. J’ai ensuite manqué d’objectivité par rapport à mon état. Et en ce mois de février, je ne suis simplement pas au mieux de ma forme.
Jeudi 24 février, après une escale à Casablanca au Maroc, où Niko et moi nous nous retrouvons en provenance respectivement de Toulouse et de Paris, nous embarquons pour le Cameroun. Dès notre arrivée à l’aéroport de Douala, nous sommes aspirés dans un tourbillon qui ne cessera pas pendant le séjour. Un dépaysement total, des rencontres inoubliables, des situations rocambolesques, des paysages somptueux, une cuisine délicieuse… bref, tout ce qui s’inscrit dans nos mémoires et se transforment en souvenirs à raconter plus tard.
Nous avons été pris en charge par la Fédération Camerounaise d’Athlétisme pendant tout notre séjour, avec un hébergement à Douala, puis à Buéa. Douala est la capitale économique du Pays. Une ville de plus de 1,5 million d’habitants. Avec Justin, le samedi matin, nous avons fait une visite en mototaxi de cette cité tout en contrastes. Nous avons fait des rencontres improbables, mais tellement riches. Une immersion complète dans un pays, dans une culture. Et ce sera à l’image de cette participation à la course du Fako.
Au pied du Char des Dieux
Nous passons à l'aéroport récupérer un coureur congolais. Dans la voiture bondée (nous sommes 7 !), il me dit me connaître. C'est Zatara Ilunga Mande, surnomé « le guépard du désert », un athlète de très haut niveau et d'une extrême gentillesse. Zatara vient souvent à Rennes s'entraîner et participer à des épreuves de demi-fond dans le Grand Ouest. Il a été invité la veille par l'organisation pour participer à la course, avec un billet d'avion à son nom. Nous lui apprenons la distance de la course... il est stupéfait, car il s'attendait à un 25 km ! Il nous dit de suite qu'il ne fera pas la totalité, car il n'est pas prêt pour un terrain aussi technique et ne peut pas prendre le risque de se blesser avant ses échéances mondiales.
Après un passage épique par la gare routière de Douala, nous arrivons sur Buéa sous des pluies diluviennes. Quelle déception ce serait s’il faisait un tel temps le jour de la course. Il pleut des cordes, c’est impressionnant. Nous entendons à la radio des commentaires sur la cérémonie d’ouverture de la course, quelques banderoles mentionnent l’évènement. Nous ne passerons malheureusement pas par le stade… pour finalement rejoindre l’hôtel après quelques aléas. Le temps passe vite. Nous dinons d’un excellent repas (la cuisine camerounaise est divine). Monsieur Athanase Oloko, Secrétaire Général Adjoint de la FCA, nous apporte nos dossards. Il reste à passer une bonne et courte nuit… puis ce sera l’épreuve tant attendue.
A 5h45, nous partons pours le stade de Molyko. Nous avalons deux petits pains au Nutela (pêché gourmand de Niko), car il n’y a pas de petit déjeuner de prévu. Tout est un peu à l’arrache. Nous voilà désormais dans la tribune officielle. Petite interview en anglais pour une radio. Nous rencontrons quelques coureurs étrangers… On nous remet le tee-shirt officiel de la course de l'Espoir, puis nous sommes appelés pour la remise du bracelet vert de course.
Ensuite, petit footing de chauffe. Le temps est radieux, avec un beau ciel bleu. Quelle chance ! Beaucoup de coureurs camerounais nous sollicitent pour être pris en photo avec des blancs. Nous nous y prêtons volontiers. C’est vraiment une ambiance particulière. Je regarde avec attentions les chaussures des coureurs locaux. Sandales et vieilles chaussures résument l’équipement minimum des prétendants au Mont Cameroun. Nous nous sentons presque ridicules avec nos sacs à dos et nos chaussures de trail.
Le Ministre des Sports et de l’Education Sportive passe devant la ligne de départ. La fanfare militaire joue l’hymne national. Nous échangeons avec un français qui était entré en contact avec Niko via son blog. David nous donne de multiples indications sur le profil du parcours. Il nous fait partager sa reconnaissance du terrain. Très sympa… d’autant que nous n’avons pu faire aucun repérage, ni acclimatation, étant arrivés au dernier moment au Cameroun suite au changement de date.
En effet, nous avions prévu à l'origine d'arriver dès le mercredi au Cameroun. Pour nous permettre de nous familiariser avec l'environnement, mais aussi de nous remettre de la fatigue de ce long voyage. Car les manifestations liées à la course se déroulent sur quatre jours (dont trois avant le jour J). Les coureurs ont ainsi le temps de bien repérer les lieux. Il y a même l'élection de la Miss Cameroun !
Devant nous, ce fameux Mont Cameroun. Nous sommes si près que nous ne voyons pas le sommet. La montagne est vraiment imposante. Nous y sommes vraiment. Vivre cette course parmi des compétiteurs africains est pour moi une expérience ultime. Ici, il n’y a pas tout ces « kéké » qu’on retrouve dans les pages des magazines de trail. Les coureurs camerounais forcent le respect par leur modestie et leur authenticité. Cette journée sera faite de découverte, à chaque instant.
Sur le bord de la Canopée
A 7h00, le départ de la course est donné. Un moment indescriptible. Nous quittons le stade pour filer vers la route. Nous traversons un marché, où les échoppes des marchands sont installées de part et autres. C’est jubilatoire. Le départ est rapide. On se croirait parti pour un 10 km. Bien vite, nous voilà sur une large route. De part et d’autre, un public venu en masse est là pour encourager les compétiteurs. Je n’ai jamais vécu une telle expérience. C’est grisant.
Comme nous portons tous ce tee-shirt du sponsor « matinal », c’est une vraie marée humaine qui prend la direction du Mont Cameroun. Nous avons droit à 7 km de route. Et ça monte dès le début. Les enfants sourient et irradient de bonheur. « Courage, courage ». La région de Buéa est anglophone. Cette course fédère toute la population. Les blancs que nous sommes sont souvent photographiés. On nous encourage avec enthousiasme. De jeunes femmes s’esclaffent et nous montent du doigt.
Avec Niko, nous avançons prudemment. Nous sommes même dans les derniers ! Au bout de quelques kilomètres, nous sommes déjà remontés par des tee-shirts verts : les juniors et les vétérans partis dernière nous. Mais nous voulons jouer la prudence. Nous voilà à un premier poste de ravitaillement, où l’eau est proposée en abondance. Et toujours ces encouragements nombreux. La clameur et la générosité de ce public m’impressionnent. C’est magique. J’ai la sensation de vivre une journée unique. Je me préserve pour profiter de cette course tant attendue et rêvée.
Au bout d’une demi-heure, je marche un peu pour récupérer. A ce moment là, un coureur camerounais me saisit la main et m’entraine dans sa course. Je trouve le moment touchant et symbolique. Un noir et un blanc, main dans la main, dans cette course de l’espoir. Je comprendrai plus tard que sa démarche était intéressée : il n’avait pas le fameux bracelet. Du coup, en étant avec moi, il espérait passer les contrôles. Enfin, cela n’a rien enlevé à la symbolique de ce geste. La route continue ainsi jusqu’à l’ancienne prison, sur les hauteurs de Buéa. Là, c’est le deuxième ravitaillement.
Place ensuite à l’entrée dans la forêt. Une magnifique forêt tropicale, qui me rappelle par moment la Réunion. Je profite pleinement de cet environnement. Nous allons en direction du premier refuge, à 1875 m d’altitude. C’est une forêt dense, avec de multiples essences de végétaux. Le chemin se révèle glissant, il faut être vigilant. Des coureurs descendent déjà du refuge, les tee-shirts verts. Je suis scotché par leur aptitude technique. Ils volent littéralement. Et quand on voit comment ils sont chaussés… ça mérite le respect. D’ailleurs, nous les encourageons de nos « bravos ».
La savane africaine et l'arbre magique
Bientôt, me voilà arrivé au premier refuge. 1200 m de gravi. Nous sommes bientôt à la sortie de la forêt. Je suis toujours dans les pas de Niko, qui m’attend régulièrement. Nous avons prévu de faire la course ensemble, pour profiter pleinement de cette aventure partagée. Mais je sens que je ne suis pas au mieux. Je suis dans un jour « sans ». Un sentiment de grosse fatigue. Des jambes en coton. Pas de force. Pourtant, je m’alimente. A ce moment là, je pense que je vais me refaire la cerise plus tard.
A la sortie de la forêt, j’aperçois devant nous un mur impressionnant. Dans la savane, c’est une montée directe droit le pentu (parfois à près de 55 % !). Les coureurs sont devant nous, on dirait une fourmilière. Ça me stoppe net et mon moral en prend un coup. Je ne m’attendais pas à ça ! On en rigole sur le moment avec Niko, qui me dit que c’est au moins trois fois la venta negra sur la Rhune (une référence pour ceux qui connaissent le Pays Basque).
Bon désormais, faut pas flancher et y aller. Nous repartons donc dans cette pente au degré impressionnant. Au bout de 10 mn, force est de reconnaître que les sensations ne sont pas là. Niko me dit qu’on n’est pas là pour ramasser le thé… C’est vrai que notre rythme n’est pas terrible. Quel dommage de connaître une telle déconvenue. J’encourage Niko à poursuivre seul. Qu’il aille au sommet… et moi je monte comme je peux.
Mon Niko souhaite m’accompagner. Du coup, il m’attend régulièrement. J’en suis presque gêné. Ce n’est pas un plan que nous avions envisagé. Je craignais plutôt que Niko ait des douleurs à son mollet… et voilà que c’est moi qui ne suis pas à la hauteur de ce Mont Cameroun. C’est ainsi. Nous ne sommes pas des machines, mais des êtres humains. Et nous avons nos forces et nos faiblesses. L’essentiel, pour moi, est d’atteindre ce sommet.
A aucun moment, je ne regrette d'être là. Je vis pleinement cette aventure, qui ne se déroule simplement pas comme je l'avais imaginée. Je me dis que j'ai cette chance énorme d'être là, parmi tous ces coureurs africains. C'est déjà une belle victoire. Le Mont Cameroun n'est pas une montagne anodine, il faut être bien aguerri pour l'affronter. D'ailleurs, tous les compétiteurs camerounais sont d'un excellent niveau et ont cette soif de victoire. C'est digne d'un championnat pour eux.
J’avance donc, en profitant du magnifique panorama sur le Golfe de Guinée. Nous voyons les plages de Limbé et l’Océan Atlantique. C’est de toute beauté. Sur le parcours, j’échange avec quelques coureurs. Les militaires sont impliqués dans l’organisation et nous adressent des encouragements. Un d’eux me dit que l’« arbre magique » sur la crête signifie la fin de la savane… et bientôt le deuxième refuge. Cet arbre magique est tout est symbole. Je suis heureux lorsque je l’atteints.
Vers le refuge de la mort
Bientôt, les premiers coureurs (les relayeurs) descendent. C’est absolument impressionnant de voir leur agilité. Ils sont suivis rapidement par le premier de la course, qui est un champion toute catégorie. Quand je pense qu’ils reviennent déjà du sommet… et que moi je n’en suis que là. Ces athlètes méritent vraiment tout notre respect. Cette course est vraiment d’une difficulté extrême… et ces coureurs camerounais se donnent à fond. Faut dire que la prime de 3 millions de FCFA offerte au vainqueur représente un pactole énorme pour eux.
A 2900 m d’altitude, c’est le deuxième refuge. Nicolas est là. Il m’attend. Je vois sur son visage une inquiétude. Il me fait remarquer que je n’avance pas. Il a raison. Je lui dis que ça ne va pas, mais que je fais avec. Il craint que je fasse un malaise. Je lui dis que je me connais très bien. J’ai un peu mal à la tête et envie de dormir, mais aucune nausée. Il me dit alors que le gars du refuge lui a parlé d’une barrière horaire à 11h00 au refuge numéro 3, le refuge de la mort. C’est une découverte pour nous, car nous n’avons pas été informés de barrière horaire sur l’épreuve.
Je remarque alors que de nombreux coureurs sont en train de faire demi-tour. Ils disent être fatigués. Ça me surprend un peu, mais sans plus. Je dis à Niko de filer, sans m’attendre, pour qu’il puisse pointer au sommet du Mont Cameroun. Niko n’a encore jamais fait de 4000 m, ce sera son premier. Moi, je me dis que tant pis si je n’ai pas le bracelet de passage au sommet. Pour moi, l’essentiel est de l’atteindre, même si je ne suis pas dans les délais.
Nous voilà au dessus de 3000 m. Ce n’est vraiment pas comparable à nos montagnes. Buéa a l’air d’être si proche… et pourtant nous avons déjà avalé de nombreux mètres ! Je continue ma progression au ralenti. Quelle frustration de ne pas être bien, mais je me dis que ça va le faire, que je vais l’atteindre ce sommet. En plus, il fait très beau et j’ai beaucoup de temps devant moi. Je n’ai que des idées positives à l’esprit et ça m’aide bien. Je repense à notre arrivée la veille, à toutes ces anecdotes à raconter aux proches et amis.
Toute l'Afrique dans un Pays, c'est le slogan touristique du Cameroun. Et bien moi, je suis en train de vivre une sacrée expérience en tout cas. Lors de cette course de l'Espoir, je passe par tous les sentiments du coureur à pied, sauf un : celui du désespoir. Et chaque pas, même s'il est ridiculement lent (j'ai l'impression de n'avoir jamais été aussi lent en course), est un pas de plus vers le sommet. Même s'il faut beaucoup d'énergie pour y arriver, l'environnement reste exceptionnel et me transporte.
Je rencontre de plus en plus de coureurs qui redescendent. Nombreux me disent de faire demi-tour. Je leur dis que je continue. Un militaire me dit en anglais que le refuge de la mort (troisième refuge) est fermé, et qu’il faut redescendre, que c’est la fin. Je fais fi de ces avis, car pour moi, c’est le sommet qui prime. D’ailleurs, un coureurs de Bergerac a fait la course l’an passé jusqu’au sommet, sans être pointé, car les pointeurs étaient partis. Je me dis que je ferai pareil.
A l’antécime du Volcan
Bientôt, j’aperçois mon Niko redescendre. Je fixe son bras et je vois le bracelet jaune fixé à son poignet. Je suis heureux comme un gosse. Il a réussi à pointer au sommet. Son premier 4000 m ! Et il est venu en Afrique le Lémurien, pour atteindre de telles altitudes ! J’aurai été tellement déçu s’il n’avait pas atteint ce sommet par ma faute. Niko m’a si longtemps attendu. Nous échangeons rapidement. Niko m’apprend que l’accès au sommet est fermé.
Nous continuons d’avancer vers le troisième refuge à 3800 m, que nous atteignons assez rapidement. Là, les officiels nous disent que la course est terminée. Qu’il faut faire demi-tour. Je suis abasourdi. C’est une immense déception. Je suis à 300 m du sommet du Mont Cameroun et je dois redescendre. Je discute alors avec le patriarche de la course (il est présent depuis la première édition), pour lui dire que c’est mon rêve qui va partir en fumée. L’homme est courtois. Il m’explique que le règlement, c’est le règlement.
Que la Course du Mont Cameroun est une course internationale et qu’il faut respecter ce règlement. Je lui dis bien comprendre sa position, mais que nous n’avons pas été informés de cela au départ de la course. Je parlemente un moment, essayant tous les arguments qui me viennent à l’esprit. Je veux lui donner mon dossard… mais il n’entend pas bouger d’un ôta. Le règlement, c’est le règlement. Sincèrement, je le comprends et ne peux pas lui donner tort. Seulement, ça me semble trop injuste. Pas là. Pas moi. Nous voulions partagés ce moment Niko et moi au sommet du Mont Cameroun. Immortaliser l’instant de cette Lemur Team avec la plaque sommitale. Ce ne sera pas.
Je regarde dans le vide ces roches volcaniques. Le sommet est si prêt. Il est à peine 12h30. Il restait encore le temps nécessaire pour y aller. Comme je fonctionne au mental, je n’avais que des images positives pour m’aider à progresser sur les flancs du Mont Cameroun, malgré ma fatigue évidente. Et là, tout s’effondre. J’insiste encore un peu, mais les autres officiels, dont un militaire, ne veulent pas changer d’avis. Une jeune camerounaise souhaite tout de même avoir le bracelet de « summiter ». Ça met le patriarche en colère. Je ne suis pas venu pour ça.
A près de 4000 m, mon rêve est parti en fumée sur les pentes de ce volcan. Une profonde tristesse m’envahie. Mes yeux s’embrument. Quelques larmes, discrètes, ont brouillé le regard. Un instant furtif. Ce sentiment d’être passé « à côté » d’un jour important. Moi qui fait de l’alpinisme et qui connaît bien cette sensation d’être arrivé au sommet d’une montagne, je me sens un peu « volé ». J’aurai aimé suspendre le temps, pour aller au sommet et revenir. Mais c’est fini. J’ai la gorge nouée.
Porte-toi bien le blanc
Je rebrousse alors chemin avec peine. Je suis désabusé. Je croise le regard de Niko. Je lis sa peine également. Ce n’est pas ce que nous avions envisagé. Mais la réalité est là. Et il faut l’accepter ainsi. Je commence à trottiner un peu, et les jambes vont bien. Désormais, il reste à redescendre tout ce que j’ai monté, après tant d’effort. Il faut poursuivre, sans cette euphorie que procure l’atteinte d’un sommet. C’est toujours difficile de trouver les ressources dans de telles situations.
Niko file un peu devant et m’attend. Je lui dis alors que j’ai quand même atteint le troisième refuge et que c’est déjà une réussite pour moi. Je n’y crois pas un instant, mais c’est pour essayer de redonner un peu l’ambiance que nous étions venus chercher. Une aventure partagée. Dans la réussite, comme dans l’échec. Et je me remémore tous ces instants depuis notre arrivée. Quelle aventure. Il ne faut pas pourrir ces moments présents pour ces 300 m de manqué. Il faut relativiser. J’ai quand même foulé ce Fako. Et les regrets ne font jamais avancer. Je profite à nouveau de ces superbes paysages et de ces merveilleuses conditions climatiques. C’était vraiment le jour pour monter sur le Mont Cameroun, pour affronter cette montagne mythique.
J’aperçois le deuxième refuge en contre bas. Nicolas descend plutôt bien. Faut dire qu’il y a un sacré bout pour rentrer à Buéa. Je descends à mon rythme, prenant quelques photos. Je croise des coureurs qui prennent leur temps également. A l’approche du refuge, j’entends un homme parler avec enthousiasme de sa montagne. J’en déduis que Niko a repris ses interviews. C’est vraiment le traileur–reporteur aujourd’hui. Nous partons ensemble pour une section vraiment dangereuse et engagée. Les roches volcaniques roulent sous nos pieds. Nous voilà au niveau d’un homme très gravement blessé. C’est un infirmier qui est tombé. Il est bandé de la tête, soutenu par deux militaires. C’est impressionnant et fait froid dans le dos tout à la fois.
Nous filons prudemment et bientôt, c’est l’amorce de cette magnifique forêt tropicale. J’échange avec quatre coureurs camerounais qui ont fait le sommet (en témoigne le sésame à leur poignet). Ils me félicitent. Je leurs dis alors que je n’ai pas pu atteindre ce sommet. Ils me disent que ce n’est pas grave. Que pour une première fois, c’est déjà formidable. Que je descends encore très bien, alors qu’eux sont complètement cassés. « Porte-toi bien le blanc venu de si loin pour monter sur notre montagne ». Je les remercie pour ces mots réconfortants. Ces hommes sont sincères et généreux. Je comprends alors toute la difficulté du labeur que je me suis imposé.
Je profite de cette forêt et je rejoins bientôt Niko qui a échangé avec Christian, un camerounais natif de Buéa, qui n’avait encore jamais monté sur le Mont Cameroun. Niko saisit tous ces instants magiques, des rencontres imprévues et bucoliques. Je me dis que ça va faire de bien belles images… et que nous aurons plaisir à les revoir et à les partager. A la sortie de la forêt, c’est désormais la route… et ça va être long. Il y a une caserne et je veux prendre en photo le bel emblème avec un lion aux couleurs du Cameroun, mais des militaires m’interpellent pour me dire que c’est interdit.
Du respect et de l’admiration
Pour ce retour vers le stade, nous alternons marche et course. C’est assez fastidieux ce long parcours sur le bitume. Nous passons pas loin de l’ancien Palais du Gouverneur lors de la colonisation allemande, près de nombreuses boutiques… et respirons des quantités de gaz d’échappement des voitures et taxis. Il n’y a plus de ravitaillement et nous desséchons littéralement. Nous hésitons même un instant à nous arrêter pour boire un coca ou un jus de fruit à une échoppe. Mais nous nous ravisons. Vaux mieux continuer pour terminer.
Les encouragements restent nombreux et cela met du baume au cœur. Nous approchons du stade, quitté le matin. Les spectateurs s'éloignent du site. Nous arriverons juste avant la fin des cérémonies. Quelle leçon d'humilité. Monsieur Michel Zoah, Ministre des Sports et de l’Education Physique, vient nous saluer sur la ligne d’arrivée. C’est vraiment un beau geste de sa part. Il me dit qu’on va certainement apprécier de ne rentrer que le lundi pour profiter de la journée de dimanche pour nous reposer. Il a entièrement raison.
Nous retrouvons Khalid Sadden, un coureur marocain avec qui nous avons sympatisé. D’un excellent niveau (29 mn au 10 km !), lui aussi a fait demi-tour. Cette course n’était pas faite pour lui. Et moi, je n’étais pas prêt pour affronter ce Char des Dieux. Mais voilà, je garde beaucoup de respect et d’admiration pour tous ceux qui se lance ce défi de prendre part à la Course du Mont Cameroun. Une épreuve de skyrunning extrême. Une course où il faut avoir des qualités de coureur à pied, de montagnard et d’équilibriste pour pouvoir performer. Quand on pense que le premier homme, Eric Mbatchaa, a parcouru la distance en 4h29 et la première féminine, Yvonne Ngwaya, en 5h33 !
La Course de l’Espoir est vraiment une belle épreuve qui mériterait d’avoir un statut international. La montagne est mythique, le public est chaleureux, le parcours est technique. J’aimerai pouvoir la recommander à tous ceux qui aiment la vraie course de montagne. Où la difficulté est justifiée par un motif réel : atteindre un sommet. Pour l’instant, je préfère vous dire que c’est une course hors normes, pour laquelle il faut être prêt à 100 %, physiquement et mentalement, pour pouvoir gérer tous les imprévus inhérents à l’organisation.
Ce qui est passé a fui, ce que tu espères est absent, mais le présent est à toi
Je conseillerai aux organisateurs de s’associer à des partenaires pour mettre en œuvre un dispositif à l’image de l’aura qu’ils souhaitent pour leur épreuve : date fixe chaque année, un site internet précis et informatif, modalités d’inscription accessibles. La Course du Mont Cameroun mérite vraiment d’avoir ce statut international. Beaucoup d’adeptes du skyrunning, et pourquoi pas Kilian Jornet, pourraient se régaler sur un tel parcours, et donner beaucoup d’attrait à la compétition.
Je tiens à remercier particulièrement Idriss Linge du Journal du Cameroun pour toute l’aide qu’il nous a apportée. Pour son professionnalisme, sa gentillesse et son altruisme. De part tes conseils, ton humour, tes mises en garde, tes mots choisis… tu nous as transmis ta passion pour ton pays. C’est grâce à toi, je ne l’oublie pas, que nous sommes venus au Cameroun.
Ma considération à Monsieur Michel Zoah, Ministre des Sports et de l’Education Physique, pour son intervention en notre faveur. Mes remerciements à la Fédération d’Athlétisme du Cameroun, en la personne de son Président, Monsieur Jacques-Sébastien Mbous, qui a fait face à ses responsabilités, après le changement de la date de l’épreuve. Grâce à vous, à Monsieur Anathase Oloko et à son équipe, nous avons pu vivre une magnifique aventure. Nous espérons que les chaussures et tee-shirts que nous avons offerts lors de notre venue rendront heureux plusieurs coureurs camerounais.
Ce projet de Course du Mont Cameroun, je l’ai préparé avec Niko, alias le Lémurien. Un vrai compagnon d’aventure, et un ami, tout simplement. Nous avons partagé ce périple africain, un séjour court et intense. Sur son blog, vous retrouverez un topo complet sur la course, son récit, ainsi que de nombreuses vidéos. Un passionné qui aime partager, tout comme moi.
Cette participation à la Course du Mont Cameroun, tant attendue, ne s'est pas déroulée comme je l'espérais. Pour autant, je garde un excellent souvenir de ce périple au Cameroun, de l'accueil que nous avons eu, de la beauté de ce Pays aux richesses naturelles et culturelles, de ces superbes rencontres avec Zatara, Khalid et tous les autres. Une aventure hors des sentiers battus. Mon envie de prendre part à de telles épreuves reste intacte.
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LA COURSE DE L'ESPOIR par S.E.M. Paul BIYA
Président de la République du Cameroun
« L'Ascension du Mont Cameroun, redoutable épreuve d'endurance, ne peut être envisagée sans effort et requiert un courage de tous les instants. Cette ascension illustre bien qu'il n'y a pas de victoire sans espoir d'atteindre l'arrivée. Effort, courage, endurance, volonté, espoir, réussite... ces mots sonnent à nos oreilles comme un leitmotiv alimentant l'énergie que vont développer tous les participants à cette épreuve, baptisée « Course de l'Espoir ». Dans cette épreuve majeure, la participation de tous est en elle-même une grande victoire ».
LE FAKO : KESAKO ?
Un descriptif complet de la course par un Lémurien, alias Nicolas Darmaillacq. A lire absolument si vous souhaitez avoir des informations précises sur cette épreuve grandiose. Environnement, parcours, profil, technicité, niveau des compétiteurs, ambiance... tout y est. Le tout, complété par un beau reportage.
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