TOR DES GEANTS 2011 : Rien n’arrête les Montagnes (2)
L’eau coule sur ma nuque. C’est rafraichissant et ça fait un bien fou. A chaque base vie, je prendrai ainsi une bonne douche. Je me changerai complètement pour repartir comme un sous neuf. La logistique déployée par l’organisation est sans commune mesure avec tout ce que j’ai pu connaître jusqu’à présent. Mon sac jaune Grivel, n°392, est transporté de base vie en base vie, au gré de ma progression. Je le retrouve à chaque fois, pour disposer de vêtements secs et des affaires qui me sont utiles ou agréables. C'est un élément déterminant dans la gestion de son autonomie sur un tel périple.
1200 bénévoles sont impliqués. Ils sont disponibles à chaque instant. Et ne pas les solliciter pourrait même les décevoir, tant ils ont à coeur ce Tor des Géants. Comme je n'ai pas d'assistance, je n'hésite pas à accepter leurs multiples attentions. Sans leur générosité et leur enthousiasme, cette épreuve ne pourrait tout simplement pas avoir lieu. Et notre reconnaissance est à la hauteur de leur philanthropie. S'il y a bien des Géants dans ce Val d'Aoste, ce sont ces bénévoles qui rendent notre rêve possible.
Après une bonne assiette de pates, trois grands verres de jus d'ananas, je passe au point de contrôle de sortie du poste, où je signe avec plaisir l’affiche du Tor des Géants. On m'offre un pin's du Tor des Géants, mentionnant le nom de la base vie. On me souhaite bon courage et bon voyage… et un peu avant 18h, me voilà à nouveau sur les sentiers pour rejoindre Donnas (46,6 km, 1383 md+, 2600 md-). Didier m’accompagne un petit bout de chemin. Très sympa de sa part. Nous empruntons une petite route goudronnée le long du torrent d’Urtier en direction du village de Champlong. Je suis particulièrement bien et rejoins un concurrent belge, Claude, qui fait le Tor pour la seconde fois. Nous discutons un bon moment. Il me conseille de faire une petite pause au prochain refuge, le Refuge Sogno. Je l’écouterai.
Rapidement me voilà à Lillaz (1611 m) et son petit ravito. Il reste 11 km et 900 m pour atteindre le Refuge. Un agréable sentier me conduit à l’alpage de Goilles Inferiore (1830 m). La lumière commence à baisser. J’aime ces instants en montagne. Devant moi, j’aperçois Claude et Elisabeth Blanc. On se croise depuis un petit bout de temps déjà. Je passe un beau pont qui me fait petit à petit sortir du bois. Ça monte vraiment gentiment. La montagne s’enfonce dans l’obscurité. Je suis seul désormais. Et heureux. La lune se dévoile. La pleine lune. Elle illumine comme un phare. Je progresse à flanc, traversant plusieurs ruisseaux. Il est temps de mettre la frontale. Je trottine sur cette portion pour arriver sur une large piste… et bientôt le Refuge Sogno. Il est 21h20. Je suis à 2534 m d’altitude.
Juste en face de moi s’élève, 300 m plus haut, le Col Fenêtre. Je peux voir quelques loupiotes avancer dans la nuit. Me concernant, ce sera pour un peu plus tard. Je vais écouter les conseils des ainés. J’entre dans le Refuge Sogno, où je suis accueilli avec chaleur. C’est un agréable intérieur. Un vrai refuge comme je les aime. Il y a le ravito « offert par l’organisation » et le ravito « offert par le refuge ». Je me laisse tenté par de l’omelette et une crème au chocolat maison. C’est excellent. Ensuite, je vais dormir 45 mn dans une chambre bien calme. Un repos qui me sera bénéfique.
Vers 22h30, je quitte donc ce refuge, félicitant mes hôtes pour leur générosité. La forme est là. Bien vite, me voilà au col Fenêtre de Champorcher (2827 m), km 118,5. Je remarque des anciennes fortifications et un panneau m’indiquant que j’entre désormais dans le Parc Régional du Mont-Avic. Le début de la descente est assez instable. Je bénis mes bâtons. J’avance bien et remonte quelques compagnons de route. Il faut dire que j’adore progresser de nuit en montagne. Et quand je n’ai pas de problème de sommeil, j’avance même plutôt vite. Cap sur le Refuge Miserin (2588 m), qui porte bien son nom. L’endroit est plutôt désertique. Il y a une grande église, Notre Dame des Neiges.
Une longue piste permet de perdre assez rapidement de l’altitude. Je cours toujours, avec une foulée très rasante et économique, sur ce chemin dit « du Roi ». Et voilà le Refuge Dondena (2192 m), où je me ravitaille une nouvelle fois de café et de quelques biscuits. Il s’agit en fait de l’ancienne maison de Chasse du Roi Victor-Emmanuel II. Je repars bien vite avec un groupe de huit coureurs… et je file dans la Vallée… en direction du Hameau de Chardonnay. A un moment, nous passons devant deux petites maisons isolées. Et là, sur un muret, en pleine nuit, il y a une bouteille de coca-cola, de l'eau, un termos de café et des gâteaux. Encore une fois, cette merveilleuse hospitalité valdôtaine ! Mille mercis !
Parcours du Tor des Géants (cliquer sur l'image pour agrandir)
Le sentier est particulièrement agréable, entre alpages, pâturages et sous-bois. Je longe le Bois de Pianas… et remarque que j’ai semé mes huit compagnons. Je n’ai pourtant pas l’impression d’avoir accéléré. J’en déduis que je suis bien. Passage dans les alpages de Champlong, puis du Créton… pour arriver sur le sentier de « la Scaletta ». Il s’agit véritablement d’un escalier à descendre… avec des marches plutôt inégales, me rappelant celles du Cirque de Mafate au Grand Raid de la Réunion ! Me voilà dans les bois pour une section assez valonnée. En contre bas, il y a le torrent d’Ayasse, que je franchis un peu plus loin grâce à un pont. Les cascades sont magnifiques. Encore quelques foulées dans de beaux lacets, et me voilà à Chardonney (1450 m), 129,8 km.
Pointage et discussion avec les bénévoles… puis je reprends mon chemin. 9 km jusqu’à Pontboset. L’itinéraire reste en fond de Vallée et emprunte par moment la route. Les différents hameaux de Pontboset se succèdent… et finalement, j’arrive au poste de ravitaillement, au km 139, vers 1h45. De là, une succession de petites bosses casse la monotonie en flirtant avec la côte 1000. Le lumières de Donnas m’apparaissent. Bien vite, j’entre dans cette cité. Je passe un large pont et je suis avec attention les panneaux « Tor des Géants », comme les cailloux du petit poucet. Je continue un bon bout de temps… pour tomber sur un concurrent italien qui semble désabusé. Il me fait comprendre qu’il ne sait pas où est la base vie. Je lui montre le topo en lui disant qu’il faut continuer, passer le quartier Bard. Il reste 2,5 km environ. Ça le rassure.
On part tous les deux à la recherche de la base vie… que nous trouverons bien un peu plus tard. Il est un peu plus de 5h30 lorsque j’entre dans le gymnase. Les bénévoles sont toujours souriants et accueillants. J’ai bien vite mon sac Grivel pour récupérer mes affaires, direction la douche. Ensuite, je me régale d’un bon petit déjeuner : biscottes au Nutella, yaourts aux oranges, café. On se croirait à l’hôtel. J’en profite pour contempler une belle exposition de photos du Tor des Géants 2010, dont une superbe de Corinne Fave, « notre » vice-Présidente de France Skyrunning. Didier est là pour partager ces instants. Il me donne des nouvelles de Laurent. Tout le monde va bien. Nickel.
Je m’allonge une quinzaine de minutes, pour bien digérer… et attendre le lever du jour. A 7h05, je quitte Donnas en 68ème position. La prochaine portion (Donnas – Gressoney-Saint-Jean) fait 51,5 km pour 4584 md+ et 3585 md-. Gros gros morceau ! Et pourtant, cela ne me fait pas peur, car les sensations deviennent vraiment bonnes. Je crois que mon repos forcé, du à mon manque de sommeil, m’a permis de ne pas me mettre dans le rouge et de me préserver. Pratiquement 150 km de fait et je n’ai aucune douleur. Espérons que cela va continuer. Mais il n’y a pas de raison que cela change. Faut juste s’écouter et se respecter.
Mais un autre élément déterminant vient de faire surface : me voilà désormais sur la Haute Route n°1, la fameuse route des Géants. Je réalise ainsi tout le chemin accompli. Maintenant, je vais me rapprocher de ce superbe Massif du Mont Rose (Nordend, Dufourspitze, Zumsteinspitze, PuntaGnifetti, la Pyramide Vincent...), puis du Cervin et du Mont Blanc par leurs faces italiennes. Tous ces superbes 4000, les Géants des Alpes ! Et en tant qu’amoureux des sommets, je sais que je tiens là ma réussite au Tor des Géants. La suite me le confirmera.
Je passe devant les vignes cultivées en terrasses pour prendre un peu de hauteur. Les lumières rougeoyantes sur les montagnes sont de toute beauté. Je progresse dans les sous bois. Je cours sur les sections plates. Et je commence à remonter d’autres participants. Me voilà au Hameau de Perloz (663 m). Un très beau petit village. J’ai le plaisir de retrouver les encouragements de Didier. Au ravito, j’ai droit à un excellent expresso. Ah oui ! cette journée s’annonce sous les meilleurs hospices. Et le temps est radieux. Il va même faire chaud ce mardi 13 septembre.
La Vallée du Lys est superbe. Je traverse le Pont de Moretta qui franchit une large gorge au fond de laquelle coule le torrent du Lys. Ce passage est magique. Ensuite, un beau sentier nous dirige vers la Tour d’Héréraz à 586 m. C’est à une belle découverte de la vie valdôtaine que nous avons droit. Passage dans de nombreux hameaux avec de beaux jardins cultivés, des basses cours, des chapelles, des ruines... l’itinéraire est superbe. Je monte plutôt bien... et à 10h25, j’atteinds l’Etoile du Berger. Une petite pause pour faire le plein d’eau... et je repars pour une montée “sèche” digne d’un kilomètre vertical : 900 m sur un peu plus de 4,5 km. La montée au Col Portola à la côte 1966 se fait droit dans le pentu. Ils ont oublié les lacets... comme dans le Pays Basque !!!
Je me retouve en territoire connu, car j’ai déjà effectué une randonnée dans ce coin là lors de vacances précédentes. La progression n’est pas évidente, car il y a de nombreux blocs et une grande végétation. Mais que c’est beau ! Juste en face de moi se dresse, sur les crètes, le Refuge Coda. Je vais l’atteindre via le Col Carisey (2124 m), bien marqué par une grande croix. J’aperçois de nombreux randonneurs. Ce site est très prisé. Arrivé au Col, je prends pieds sur cette longue arête des Carisey qui me conduit au Refuge Coda (2224 m). J’endends de la flûte et des encouragements. Ça me donne la chair de poule. Ces moments sont très difficiles à décrire avec de simples mots. Une fois au Refuge, l’accueil est extra. On vous considère ici comme un héros, alors que finalement, nous ne faisons que vivre notre passion.
Le cadre est une nouvelle fois somptueux. Après de vifs remerciements, j’emprunte une belle descente de 800 m environ. Il s’agit de contourner le Mont Mars pour aller rejoindre le versant du Lac Vargno (1670 m). Le sentier en lacets pour atteindre le Lac est très agréable, en sous bois. Bien vite, me voilà au Lac. 172 km de fait ! Je suis donc dans la deuxième moitié du Tor des Géants. Un bonheur, tout simplement. Je sors la carte pour bien la visualiser. Il reste 28 km pour rejoindre Gressoney-Saint-Jean, synonyme de quatrième base vie et de fin de mon quatrième trail !
Un court ravitaillement et je prends la direction du col Marmontana (2348 m). La montée est bien agréable, même s’il commence à faire sévèrement chaud. Dès qu’il y a une cascade, j’en profite pour tremper ma casquette et bien me rafraichir. L'eau coule sur mes tempes et dans mon dos, ça fait du bien. Assez rapidement, me voilà donc au Col... et je bascule dans la descente. Je commence à avoir les cuisses assez dûres, signe que je ne me suis pas assez hydraté. Je redouble donc d’attention, car moi qui ne suis pas sujet aux crampes, ce serait vraiment dommage d’en prendre dans cette descente. J’arrive au Lago Chiaro où il y a un bivouac. Deux gars sont là, dont un souffre de crampes aïgues justement. Je prends une bonne bière et m’enquiers de la suite des réjouissances. Il reste deux côtes pour rejoindre Niel. Et le soleil se fait de plus en plus cuisant. Qu'importe, ça va le faire !
Je repars d’un pas décidé. Il me faut atteindre Crenna dou Leui à la côte 2311. Au début, c’est plutôt tranquille, puis ça monte sévère, mais pas lontemps. Je progresse à flanc... parmi les rochers et les mélèzes. Bientôt, j'aperçois une brèche dans la montagne, c'est le fameux passage pour basculer de l'autre côté. Je franchis Crenna dou Leui, puis ça descend sec pour rejoindre une partie plus tranquille. Ensuite, direction le dernier col de cette étape, celui de la Vecchia. Un peu avant, il y a le pointage et son ravitaillement. Accueil sous les applaudissements ! Il y a même l’hélico si je veux faire un retour un peu plus rapide ! Option qui ne me vient même pas l'esprit va s'en dire. Je me délecte de fruits, dont une bonne pêche. J’ingère tout ce qui peut m’hydrater. Puis j’emprunte le large sentier muletier qui conduit au Col de la Vecchia (2184 m). Cette belle portion panoramique offre un point de vue remarquable sur toute cette vallée, en direction du Vallon de Niel.
Cet Hameau de Niel, il faudra un peu de persévérance pour l’atteindre, car la descente n’est pas directe. Il faut d’abord remonter ! Pour redescendre. A un passage de pierres humides, je manque de vigilance et je dérape, sans réussir à retrouver mon équilibre. Fatigue, manque de lucidité, inattention ? Un peu des trois. Une chose est sûr, mon Tor aurait bien pu s’arrêter là. J’ai en effet plongé la tête la première dans la cascade, finissant le crâne dans la mousse. Une sacrée chute qui a fait peur au gars qui me suivait. Heureusement, rien de bien grave, mis à part une douleur au genou gauche qui disparaitra quelques heures plus tard. Mais quand même une bonne frayeur !
J’arrive à Niel, km 186,6, sous le son des clôches valdôtaines. J’y retrouve Didier qui me félicite. J’échange avec Philippe et Frédéric, qui deviendront par la suite mes compagnons d’aventure pour de belles portions partagées. Je prends le temps de me reposer un peu, de bien boire et ensuite, je pars à l’assaut de ce Col de Lazoney (2364 m). Nous sommes un petit groupe. La nuit commence à tomber. Je sens que la fatigue s’installe en moi. Et pourtant, je veux arriver à Gressonney pour y faire une bonne pause. J’avance donc à mon rythme et me retrouve bien vite avec Philippe. Nous faisons cause commune pour cette ascension nocturne. Je titube un peu. Philippe fait la trace et nous voilà enfin au Col.
Dans la descente, je suis vigilant à ne pas tomber. Je change les piles de ma frontale car je n’y vois plus grand chose. Philippe me donne une barre d’Ovomaltine. Et finalement, nous atteignons un petit refuge à Loo. L’accueil est somptueux. En musique et en chanson. Nous demandons s’il est possible d’avoir des pates. Et nous avons droit à d’excellentes ravioles à la viande. Que ça fait du bien ! Je me sens ragaillardi ! Outre la fatigue, j’avais surtout très faim. Mon dernier repas datant de ce matin à Donnas.
Philippe part, puis c’est mon tour. Il reste un peu moins de 7 km pour atteindre la base vie. La première partie est laborieuse, avec de nombreux blocs et rochers. Un terrain très instable… et pas très appropré lorsque la fatigue gagne l’organisme. Il faut batailler un peu. Lorsque j’arrive sur la route, j’en suis presque ravi. Je rejoins Philippe et nous faisons ensemble les 2 derniers kilomètres qui nous conduisent à la base vie de Gressoney-Saint-Jean. Nous y arrivons à 0h20. Je file prendre une bonne douche, puis je me trouve un bon lit pour dormir. Il n’y a pas grand monde à la base vie. Faut dire que je suis désormais dans les 60 premiers. Du coup, je prends la décision de dormir jusqu’à 6h00, pour bien me reposer. Je sais que ce temps ne sera pas perdu, car j’ai ma petite idée pour la suite…
Cette dernière partie du parcours s'annonce de toute beauté avec la vue successive sur trois « Géants » des Alpes : Mont Rose (4684 m), Cervin (4478 m) et Mont-Blanc (4810 m). Je vais en prendre plein les yeux ! Il me reste 132 km à parcourir et je souhaite les gérer comme un ultra-trail du type Grand Raid de la Réunion. Du coup, si je récupère assez bien, alors je pourrai ensuite minimiser les temps de repos, d'autant que je connais la force de mon mental en fin d'épreuve. Je m’allonge pour vite m’endormir, mais mes pieds me lancent un peu. Ils ont pris beaucoup de volume. C’est impressionnant. Mais rien n’arrête l’envie des montagnes, rien n’arrête le dépassement de soi, rien n’arrête la volonté d’une passion. A quoi bon déplacer des montagnes quand il est si simple de passer par dessus ?
Cogne – Donnas - 46,6 km 1383 md+ 2600 md- : Roadbook
Donnas – Gressoney-Saint-Jean - 51,5 km 4584 md+ 3585 md- : Roodbook
Profil du parcours réalisé (cliquer sur l'image pour agrandir)
La suite (et fin) : 3ème Partie - Au Crépuscule d'un Rêve Absolu
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