A chacun son sommet

A chacun son sommet

Sur le fil du GRAND RAID DU MERCANTOUR 09

 

Le Grand Raid du Mercantour, dans les Alpes du Sud, est l'un des trails les plus techniques de France. Depuis deux ans, je souhaitais y participer. J'ai pris part à cette édition 2009 qui s'est déroulée le samedi 20 juin à Saint Martin de Vésubie.

 

Avec un parcours de 82 km et près de 6 000 d+, ce trail nous a proposé un tracé dans des paysages magnifiques et une nature à peine sortie de l'hiver montagnard. Malheureusement, l'épreuve s'est terminée par un drame avec la mort de 3 coureurs sur la fin du parcours, suite à une brutale dégradation des conditions climatiques.

 

Malgré tout, j'ai souhaité relater mon récit de cette épreuve. C'est un récit de l'intérieur, pour raconter cette magnifique épreuve. C'est un témoignage pour relater un épisode éprouvant de ma vie de traileur.

 

 

                                                                

 

 

Tel le phœnix, le Grand Raid du Mercantour renaît tous les deux ans. Pour le plus grand plaisir de tous ceux qui l'attendent avec une impatience non dissimulée. Tel fut mon cas, celui du Lémurien, du Poulet, de Sylvain, de Caillou. Dans les terres du Mont Bégo, haut lieu des fresques rupestres d'un âge ancien, les traileurs de tous les horizons ont foulé les chemins et sentes du Mercantour. Et pour cette édition 2009, le ramage de ce bel oiseau s'est teinté de blanc, fruit d'un enneigement tardif… Une ambiance majestueuse pour une épreuve qui ne l'est pas moins.

 

Tel le marbre noir d'Égypte, le Grand Raid du Mercantour marque par la technicité de son parcours et son ambiance de montagne sauvage. Parangon de l'esprit trail, cette épreuve est un archétype, un exemple, un étalon pour tout amoureux de la nature… qui aime courir, avaler les chemins, sauter de pierres en rochers, admirer et contempler, s'enivrer des paysages et des senteurs, se dépasser et partager…

 

Mais le cadre idyllique de ce trail ne doit pas nous faire oublier la dangerosité de la montagne avec ses brusques changements de temps… qui sont de véritables pièges, même pour les plus aguerris. Ce week-end s'annonçait somptueux. Malheureusement, il s'est terminé par un drame.

 

  

 

Tout a commencé à Saint Martin de Vésubie, charmant village des Alpes du Sud. Les éléments sont là : un écrin de nature, les amis, l'envie de parcourir ces belles montagnes. Le Grand Raid du Mercantour, je l'attends depuis deux ans. Je vous le fais partager. En quelques mots, en quelques images…

 

J-2, j'étais prêt, physiquement et moralement… Et puis tout est parti de travers, j'ai tout fait à l'envers, suite à des aléas et à des erreurs de jugement et de gestion.  Déjà, je devais arriver dans le Mercantour le vendredi matin, par train de nuit. Et retrouver tous les amis pour se préparer tranquillement. Mais suite à un suicide en Gare du Mans (nous vivons une triste époque), j'ai raté ma correspondance à Austerliz et me voilà planté à Paris. Du coup, je ne suis arrivé qu'en début d'après-midi à Nice, après un voyage mouvementé et pas très reposant.

 

 

Sylvain me récupère à la Gare, nous faisons un petit tour de Nice, puis direction Saint Martin de Vésubie. Je ne prends pas le temps de manger un repas. Je suis tellement content d'être là que je ne fais pas attention à ces détails qui ont une grande importance. Nous retrouvons Niko (Le Lémurien, alias Nicolas Darmaillacq) et Francky (Le Poulet, son "frère") pour le retrait des dossards. Ils m'offrent deux petits livres bien sympas pour mon anniversaire.

 

A 18h00, nous allons à la conférence de Guillaume Millet sur l'Ultra-Endurance, la gestion de l'effort. Un type très brillant, bourré d'humour… qui donnera pas mal de clés pour mieux « comprendre » l'ultra. Je me retrouve dans ses dires. Son exposé, ses conseils, tout permet se s'enrichir, de mieux se connaître et d'apprendre sur la pratique de son sport. Sur l'endurance, la résistance, la fatigue physique et cérébrale. Je ne le sais pas à ce moment là, mais cette conférence va s'illustrer dans mon épreuve du lendemain. 

 

 

 

 

Samedi 20 juin. 3h45. Nous arrivons au dernier moment avec Sylvain dans le sas de départ. Le temps s'annonce correcte, avec des risques d'orage. J'ai prévu des vêtements chauds, comme conseillé dans le règlement de l'épreuve. Sébastien Chaigneau nous prend en photo Sylvain, Niko et moi. J'ai le tracé du parcours dans la tête. Niko nous a fait un super topo pour notre préparation mentale du trail. Le Lémurien ne se refait pas, toujours aussi prévenant et attentif aux autres.

 

4h00. Nous partons. Je suis avec Sylvain et nous avons envie de faire ce périple ensemble en 15h00. ça me semble jouable et c'est source de motivation. Une bonne émulation. Sommes nous trop présomptueux ? En tout cas, nous partons bien trop vite. Au bout de 10 mn, nous sommes toujours avec Niko, très surpris de nous voir là. Y a un léger problème. Du coup, je coupe bien pour qu'on se laisse distancer.

 

 

 

 

Nous voilà bien vite dans les chemins, nous passons la Colmiane, puis direction le Col de Barn. Les premières lueurs du jour… Je me sens très bien. Nous avons un bon rythme. La montée vers le Col est très agréable. Nous franchissons même un couloir d'avalanche. C'est génial de voir cette nature alpine à la sortie du printemps. Ravito et nous voilà dans les premiers névés (et pas les derniers…). Une large traverse nous conduit au Col où nous pointons. Puis nous basculons dans une superbe Vallée enneigée.

 

Je prends pas mal de photos. Un peu de ramasse dans les névés… la cadre est magnifique. Je dis à Sylvain combien je me régale. Nous avons une brève remontée vers le Col de Salèze. Une piste bien monotone. Nous marchons activement. Passé le Col, c'est une belle descente qui nous conduit au Boréon. Le tronçon final, sur le bitume, est un peu fastidieux… mais ça se gère.

 

 

 

 

Au ravito du km 30, je mange un peu… mais pas assez. Nous repartons vers la montée du Pas de Ladres. Bien vite, je sens que je manque de carburant. Je me sens « vide », j'ai une grosse fringuale et j'ai déjà sommeil. Signes flagrants d'une mauvaise alimentation et d'une fatigue déjà présente. Je me dis que ça va passer. Je prends des photos d'une magnifique cascade…. Mais ça ne va pas beaucoup mieux. Un chevalier du vent (Bruno Poirier) me passe… puis pas mal de gars.

 

Sylvain m'attend au niveau du Pont. Il me donne une compote énergétique et une boisson. Mais ça ne passe pas. Soit j'ai déjà cramé toutes mes cartouches (ce qui me surprend, mais peut-être), soit je paie le prix fort de mon voyage rocambolesque pour venir à Nice (ce qui est probable). Dans tous les cas, ça va pas fort. Et ça tombe mal, c'est le Pas des Ladres.

 

 

 

 

Le Lac de Trécolpas est superbe. Dans une combe, des chamois font la course. C'est pour cela que je suis venu : en prendre plein les yeux. Je n'ai jamais couru un trail dans un tel cadre. Je m'alimente de quelques TUC et je monte tranquillement. Style ours venant d'hiberner. Donc plutôt gauche et maladroit… ce qui n'est pas très approprié dans ce contexte. Je sens Sylvain très prévenant (et inquiet) près de moi.  Nous voilà au Pas… pour une superbe descente en ramasse… direction la Madone de Fenestre.

 

Arrivés au refuge, je me ravitaille bien. Sylvain est furieux, car il n'y a pas de médecin pour me voir. Une fois requinqué, nous repartons direction la Baisse des 5 Lacs, puis la Baisse de Prals. Je monte péniblement. J'encourage Sylvain à me laisser, il ne veut pas. Dans la descente de la Baisse des 5 Lacs, j'entends des « Pilou », c'est Francky qui arrive. Je suis content pour lui…. Il gère bien.

 

 

 

 

Dans la montée de la Baisse de Prals, je promets à Sylvain de m'arrêter au Relais des Merveilles. Qu'il continue. Il me laisse la clé de sa voiture. Je rejoins tranquillement le Relais des Merveilles où j'annonce que j'abandonne. On me dit que c'est dommage. Que je peux me reposer et repartir. Je réponds que j'ai promis de m'arrêter. Du coup, je demande un gros sandwich jambon et une bonne bière, et je me régale.

 

Puis je vais dans une navette chauffée pour les abandons. Il fait bon et chaud. Dehors, c'est l'orage avec des giboulées de grêles. Je suis convaincu de ma décision. Je pense qu'il ne faut pas aller au-delà de ses limites… cela peut être dangereux. Encore une mise en pratique de la conférence de la veille. Le temps passe. Je suis vraiment bien. Deux gars arrivent. Ils abandonnent aussi. L'un a un claquage, l'autre est trop transi de froid.

 

Et moi, je me sens de mieux en mieux. Ça fait plus d'une heure que j'attends. Un troisième gars arrive. Il abandonne parce qu'il n'a pas de veste pour continuer. L'esprit gamberge. Là, je me dis, j'ai tout ce qu'il faut, je peux repartir.

 

 

 

 

Du coup, 1h30 après mon « abandon », je dis au contrôle que je repars. Ils m'encouragent. Je laisse la clé de la voiture de Sylvain à Marie (une personne proche de l'organisation), qui file sur Saint Martin de Vésubie et pourra la remettre à la ligne d'arrivée. Et me voilà à courir. Je suis sur un nuage, comme galvanisé de repartir. J'ai une sacrée pêche, c'est impressionnant. Je me réjouis d'être passé entre les orages, je positive tout.

 

Le cerveau n'envoie que des messages positifs… et je remonte beaucoup… beaucoup de monde. Certains se demandent d'où je sors… je leur explique ma mésaventure. Ils m'encouragent. J'aime cette solidarité et ce partage entre coureurs. Dans la montée de la Cime de La Valette, je discute même avec Sylvie des Dunes d'Espoir. Un plaisir de se retrouver là. J'ai un vrai bon rythme. Le rôle du mental est vraiment déterminant dans ce type d'effort, comme le disait Guillaume Millet. La brume devient plus épaisse. Il faut être vigilant au niveau du balisage, la visibilité est minimum.

 

Je remonte toujours autant de monde. Certains semblent vraiment très marqués et fatigués. Les lacets sont longs et il reste pourtant un beau morceau pour rallier Saint Martin de Vésubie. Une fois à la Cime, c'est la bascule vers la Baisse de Férisson pour rejoindre Madone de Fenestre. Sur toute cette partie, j'alterne marche et course. Une fois à la baisse, une belle descente dans les sapins. J'aperçois le refuge de l'autre côté, il faudra remonter un peu.

 

 

 

 

A Madone de Fenestre, comme les portables ne passent pas, j'écris un message à l'attention de Niko et Sylvain, pour leur dire où j'en suis.  Je remets cette missive à deux bénévoles qui partent pour Saint Martin de Vésubie. Me voilà rassuré de donner de mes nouvelles et de m'assurer que Sylvain puisse récupérer ses affaires dans sa voiture pour se changer. Je reste plus d'une demi-heure pour bien me restaurer. Le temps ne compte pas pour moi. Une soupe bien chaude, du pain, du fromage. Ça fait du bien. Les bénévoles sont aux petits soins et très prévenants. Un grand merci à eux.

 

Un commissaire nous détaille la fin du parcours. Et Niko m'avait parlé de la descente finale. Je ressors du Refuge vers 20h15. Le temps n'est pas terrible. Bien vite, une averse de grêle me tombe dessus. C'est glacial. Heureusement, je suis bien couvert pour affronter les éléments. Car désormais, c'est sûr, je vais avoir droit à une bonne section de nuit et le temps est menaçant. Je reste un moment sous un arbre pour me protéger, puis je repars une fois que ça se calme. Ce sont des nuées de grêles courtes, mais soudaines et violentes.

 

La température a énormément chuté. Je remonte des personnes que je trouve vraiment fatiguées. J'avance à un bon rythme sur les chemins de traverse. Et comme je cours, j'arrive à me réchauffer bien vite. Une bonne côte et me voilà à la Cime du Pisset. Reste celle du Piagu… puis ce sera le final. Je me ravitaille. Au pied du Piagu, un baliseur me pointe. Il m'indique le chemin : la cime tout en haut, un vrai mur, puis ensuite toutes crêtes.

 

A 22h00, me voilà au sommet du Piagu (2 300 m). Le début de la descente est délicat. La visibilité n'est pas bonne avec ce fort brouillard, il faut être vraiment vigilant et attentif aux balises fluo. Il me reste 1300 m à descendre, mais comme j'aime progresser de nuit, ça se passe très bien. Le balisage est précis. Une fois arrivé à la forêt, je me mets vraiment à courir. Je dédale dans les chemins. Je passe des dizaines de coureurs, dont certains titubent entre les rochers et les racines. 

 

 

 

 

Sur les hauteurs de Saint Martin de Vésubie, un feu d'artifices illumine le ciel. Je mets l'ABS hors-service. Bientôt les lumières de la ville, puis l'arrivée dans le village. 19h11 que je suis parti. C'est sûr, ce n'est pas à ce à quoi je songeais au départ, mais voilà, j'y suis parvenu. Ce sont les aléas sur de telles épreuves.

 

Me voilà finisher du GRM 09. J'aime pas trop ce terme « finisher ». Moi, je préfère « summiter », comme en alpinisme. Celui qui a atteint « son sommet », quel qu'il soit. Bientôt Sylvain, Niko, Caillou, Francky et Dominique me rejoignent. Ils semblent heureux de me revoir, et surtout soulagés. Je comprends vite : ils n'ont pas eu mes messages et ne savaient pas où j'en étais. Du coup, ils étaient inquiets. Ça me peine de leur avoir causé ces soucis. 

 

Nicolas a remporté ce Grand Raid du Mercantour. Il partage sa victoire avec Sébastien Chaigneau, c'est superbe. Je suis vraiment heureux pour eux deux. Niko et Seb illustrent parfaitement cet "esprit trail" fait d'engagement, de sportivité et de partage. Après avoir récupéré une polaire bien chaude, je file manger un bon repas, puis je dors au camping. Réveil très matinal. Bon petit déjeuner tous ensemble. Quelques kikous sont là. Nous apprenons que l'épreuve a été arrêtée à minuit. On aperçoit de la neige fraîche sur les sommets… 

 

 

 

La proprio du camping nous offre un pot avec des petits gâteaux maison… adorable. Nous filons pour la remise des prix. Un plaisir à partager tous ensemble. Sébastien parle très bien de son périple avec Nicolas, félicite tous les participants. Petite séance photo. Il se dit que des coureurs ne sont pas rentrés. On les recherche. Fred et Céline nous invitent moi et Sylvain pour un bon barbecue. Je dévore, tellement j'ai faim. Ça creuse la montagne. Je m'allonge sur le canapé. Je tombe d'une masse. 1h de sieste. Puis je regarde mon portable. SMS de Francky : "3 morts, quelle horreur". J'ai tout de suite compris.

 

Près de 500 traileurs sont partis à l'assaut de ces montagnes du Mercantour. 3 n'en reviendront jamais. La montagne change tous les jours, toutes les heures. Cela va extrêmement vite. Les conditions climatiques ne laissent la place à aucune erreur, quelles qu'elles soient. La montagne est un lieu et un lien. Nous en sommes ses hôtes. Le trail est un sport et une passion. J'ai vécu ce Grand Raid du Mercantour avec un effet miroir sur ma passion pour la course en montagne, pour l'engagement et le dépassement de soi, pour le partage et la solidarité.

 

Toutes mes pensées à ceux - familles, amis, collègues... - qui souffrent de l'absence de leurs proches, disparus en pratiquant leur passion. Tout mon soutien à ceux touchés par ce tragique accident et en particulier les organisateurs. C'est un épisode éprouvant dans ma vie de traileur.

 

Je sais ce que je viens chercher dans le trail et la montagne, je sais tout ce que j'y trouve et je sais l'importance que cela revêt pour moi. Je ne suis pas là pour juger les faits, ceux dont c'est le métier le feront. Je reste persuadé que la pratique de sport nature en ces lieux hostiles représente des risques factuels et avérés, qu'il ne faut pas sous estimer, c'est certains, mais qu'il ne faut pas diaboliser non plus. 

 

 

 

 « Sur le fil du Grand Raid du Mercantour » 

en référence à « Sur le fil des 4000 » de Gilles Chappaz

 

Le 1er mars 2004, Patrick Berhault et Philippe Magnin partent de Saint-Christophe-en-Oisans pour un magnifique voyage à travers les Alpes qui doit leur permettre de gravir, dans la foulée, les 82 sommets de plus de 4000 mètres des Alpes, de l'Oisans à la Bernina, en passant par le Grand Paradis, le massif du Mont-Blanc, le Valais et l'Oberland bernois.

 

Pour ces deux adeptes d'un alpinisme pur et sans fioritures, c'est un nouveau projet d'envergure, où il est principalement question de plaisir, d'esprit de cordée, de découverte. Approcher la montagne sous des angles nouveaux, la parcourir par des itinéraires originaux, faire ami ami avec elle. Se faufiler au gré des caprices de la météo, apprivoiser de jolis chemins d'altitude et faire le plein d'émotions. Une longue course vers l'inconnu en somme, avec dans le sac à dos un savoir-faire incomparable, un remarquable professionnalisme, une solide expérience, une technique éprouvée. Le 28 avril, après bientôt deux mois d'une itinérance unique et tourmentée dans l'Alpe, tantôt docile, tantôt farouche, la cordée Berhault-Magnin progresse sur la Nadelgrat, une interminable arête en direction de leur 67ème sommet. Et là, tout bascule …

 

"Sur le fil des 4000" retrace l'épopée sur les cimes de deux hommes passionnés, en quête d'un alpinisme idéal et joyeux, et pour qui l'amour de la montagne et l'amitié comptent plus que tout. 

 

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A lire ici : le reportage en images et vidéos du Lémurien

Un récit empreint de détermination, de bonheur, de respect, de partage, d'engagement et de compassion.



22/06/2009
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