Je ne vais pas tourner la page de l’UTMB
Courir l''Ultra Trail du Mont Blanc (UTMB) est une sacrée épopée, qui nécessite un gros entraînement et beaucoup de motivation. Mais lorsqu'on boucle la boucle, c'est grisant. Peu importe la place ou le temps. Dans moins de 50 jours, ce sera l'instant fatidique pour s'inscrire à l'UTMB 2008. Et le couperet va tomber en quelques heures, dès le top départ donné ce jeudi 10 janvier 2008 à 21h00. Dans la course effrénée au précieux dossard, j'espère le décrocher ce fameux sésame.
MISE A JOUR DU JEUDI 10 JANVIER 2008
J'ai décroché le précieux sésame pour l'UTMB 2008
et donc ma 5ème participation à cette superbe épreuve !
En attendant impatiemment l'ouverture des inscriptions, je me suis replongé dans la lecture de mon petit carnet « Poivre Blanc », dans lequel j'avais retranscrit, à chaud, le récit de ma première participation à l'UTMB, en août 2004. Je me délecte en parcourant ce premier périple autour du Mont Blanc.
2004, c'était le début de mon histoire avec l'Ultra Trail du Mont Blanc. J'y retourne à chaque édition. La dernière en date, c'est ici. Et, je ne souhaite pas tourner la page. Au contraire…
Avant - Propos : Ce récit est dédié à tous les fêlés de la planète.
A tous ceux qui se reconnaissent dans une de mes maximes préférées, d'un certain Edgar Allan Poe : « Ceux qui rêvent éveillés ont connaissance de bien des choses qui échappent à ceux qui ne rêvent que la nuit ». A tous ceux qui ne se contentent pas de rêver, mais qui mettent tout en œuvre pour vivre leurs rêves.
Chapitre 1 : Chamonix - Courmayeur
A deux pas de la Maison des Guides, vendredi 27 août 2004, c'est la foule. Je n'ai jamais vu autant de monde à Chamonix. Je me suis gelé tout à l'heure au briefing dans la patinoire. Mais bon, ça va, j'ai pas attrapé froid. Et puis tous ces conseils étaient fort bienvenus. Et là, fait super beau, quelle chance. Surtout à Cham. 20h05, départ de la procession ! Très bonnes sensations au départ, dans la première partie des coureurs.
Dès le début, ambiance très chaleureuse, beaucoup de spectateurs. Marche jusqu'à la sortie du plateau piétonnier, ensuite je commence à courir. Au début des Gaillands, début de mal de ventre, un peu trop de pression je pense. Usage des bâtons dans la montée au niveau de la carrière, pas très utiles. J'allume la Petzl. Passage des Houches, puis montée vers le Col de Voza. M'arrête dans la montée, car mal de ventre de plus en plus douloureux. Repars, mais ça va pas mieux. Je perds pas mal de temps. Passage au Col de Voza à 22h00, puis descente. Deuxième arrêt. Ensuite, soulagement, ça va mieux. Passage de plusieurs hameaux et arrivée aux Contamines. Petit arrêt. Je repars et cours jusqu'à la voie romaine qui monte assez fort après Notre Dame de la Gorge. Je passe beaucoup de monde. Montée vers la Balme, superbe ambiance, puis c'est le Col de la Croix du Bonhomme. Chemin très humide. La pleine lune est au niveau du col, dans le creux de la montagne. Je me retourne, la vue est magnifique, plein de lumières.
Le passage entre le Col du Bonhomme et le Refuge me semble beaucoup plus long que lors de la reconnaissance en juillet. Au Refuge (6h30 de course), je reconnais le cuisto ! Descente sur les Chapieux, c'est très gras et glissant. Certains se cassent la figure. Moi, ça va. Merci aux bâtons. Je reste dans la combe. Les coureurs commencent à s'étaler. Au niveau de la partie herbeuse, j'accélère et je me laisse filer. Je suis seul. J'arrive aux Chapieux. Arrêt de 10 mn. Je bois du coca et je mange un peu. Je repars en courant et je cours assez longtemps sur la route et marche quand ça monte trop. Passé la Ville des Glaciers, c'est du chemin et j'avance vite. Au niveau du Refuge des Mottets, pointage et après c'est la montée du Col de la Seigne.
Vue magnifique sur la vallée de nuit (long filet de lumières depuis les Chapieux). La montée se fait bien. On devine les montagnes. Le jour va bientôt se lever. Arrivé en haut, j'aperçois le lever de soleil sur la chaîne du Mont Blanc. C'est la descente. Je cours seul maintenant. Pointage au niveau du Refuge Elisabetha. J'éteins ma Petzl, je file vers l'Arête du Mont Favre, en longeant le Lac Combal. Je me sens bien. J'avance. La montée se passe bien et me semble facile. Je dépasse plusieurs gars. A l'Arête (7h15 du matin), après le pointage, je mange un peu de mon ravito (pâtes de fruits, berlingots). Je discute avec un pépé italien qui me détaille toute la chaîne du Mont Blanc et me dit qu'évidement, le versant italien est le plus beau. Il a pas tout à fait tort. Je poursuis ensuite dans la descente, super agréable. Panorama magnifique.
Je passe le col Chécrouit et c'est bientôt Dolonne, en empruntant un morceau de piste de ski et des petits sentiers. J'arrive dans ce beau village, je suis heureux, la nuit est terminée, j'ai les yeux qui picotent, beaucoup d'encouragements. Arrivé au Centre des Sports à 8h20, 12h15 de course. Je reste 35 mn au total. Beaucoup plus de temps que ce que j'avais prévu… mais ça prend du temps de récupérer son sac, se changer, manger et remplir la poche à eau.
Chapitre 2 : Courmayeur - Champex
Je repars vers 9h05. J'ai mal aux jambes, c'est pas facile. J'ai plein d'acide, j'ai pas assez bu pendant la nuit. Fini les super sensations, la partie de bitume semble longue. Dès que j'arrive au chemin qui monte vers Bertone, ça va mieux. Pourtant, je sais ce qui m'attend. La montée se passe bien, j'aime ces escaliers de pierres sur la dernière partie.
Arrivé au Refuge de Lorenzino à 10h10. Je me restaure un peu. Le paysage est superbe, la Dent du Géant est juste en face de moi. C'est un de mes sommets préférés, c'est un signe, je vais réussir ce tour. Finalement, il n'y a pas que la 6000 D qui mérite le titre de "Course des Géants". Je suis en forme, je me dis que plus de la moitié est faite.
La descente sur la route fait mal aux cuisses, c'est dur de revenir sur le bitume. Toute cette partie en fond de vallée est laborieuse. Je marche vite. J'aperçois le Refuge Elena et devine le Grand Col Ferret. Là, je réalise qu'il faut prendre un chemin assez long pour atteindre le refuge. Le moral baisse un peu, mais pas grave. Passage au ravito du Refuge Elena (16h30 depuis Cham). Ensuite, c'est l'attaque du Ferret, et ça passe bien. Arrivée à 13h30 à la Frontière Suisse. Je me dis qu'il y a des itinéraires plus courts pour atteindre la Suisse en venant de Chamonix...
Pointage. Je bascule dans le pays du fromage et du chocolat. A la Peule, beaucoup d'encouragements. Des hop, hop, hop !!! Des cloches et sonnettes ! Les suisses dans toute leur splendeur, on se croit à Sierre Zinal. La descente vers la Fouly se fait par un autre chemin que celui que nous avions repéré. C'est assez raide, tout droit dans la pente, et pas vraiment agréable. Arrivée à la Fouly. Je viens de passer les 100 km. Inimaginable pour moi il y a encore quelques mois. Le Dolent est là. C'est un symbole cette « montagne - frontière » entre la France, la Suisse et l'Italie.
Et hop, c'est direction Champex. Le chemin est assez long et monotone, mais on avance bien quand même. Je cours tout le temps. Au village de Praz le Fort, des enfants ont installé un ravito ; ils me proposent de l'eau et de la grenadine. Ils sont adorables. Comme j'ai encore le souvenir du mal de ventre du début, j'hésite. Mais comme je veux leur faire plaisir, je prends le verre de grenadine. C'est bien frais et tempéré. Ça fait du bien. Ils sont super contents.
A Issert, ravito super sympa. J'adore la Suisse. Ensuite, cap sur Champex. Montée rapide, sans souci. Arrivé à Champex, un village de carte postale avec lac et chalets fleuris, un cycliste me dit que je suis à 100 m du ravitaillement. Mon œil, je sais bien que la base vie est 3 km plus loin à Champex d'en Bas (merci à la reconnaissance…). Je longe le Lac de Champex en marchant avec deux autres gars, dont un allemand. On tappe une petite causette. On avance vraiment bien. Encore un peu de montée, puis c'est la descente vers Champex d'en Bas. Un panneau indique : 1 km. Génial.
Arrivée à la base vie suisse au bout de 21h45 de course. L'accueil est super sympa. On m'apporte mon sac, je me change vite, mange un peu (il y a de la tarte aux Myrtilles, à tomber !!!) et je fais le plein d'eau. Je ne veux pas perdre de temps pour passer Bovine avant la nuit.
Chapitre 3 : Champex - Chamonix
18h05, je quitte Champex. Nous sommes trois à partir ensemble. C'est une descente, les sensations sont bonnes, je suis porté par l'euphorie. Passage au niveau de Plan de l'Au, chemin facile en sous-bois. Début de la pente modérée, puis ça s'accentue. Après le passage du torrent sur la droite, montée plus ardue pendant 45 mn. Chemin assez raide, avec des passages plus techniques (rochers, racines). Bovine dans toute sa splendeur.
Encore quelques lacets, puis arrivée dans les Alpages de Bovine. 2 heures depuis Champex. Content d'être là. 23h40 de course. 30 km pour rejoindre Cham. La luminosité commence à décroître. Je passe le portillon et c'est la descente sur le Col de la Forclaz. Un superbe sentier en balcon, puis en forêt. Attention aux chevilles quand même. Très bonnes sensations, pas du tout mal aux jambes. Arrivée au Col de la Forclaz, la nuit tombe. On empreinte le chemin de la bisse, qui mène au Glacier de Trient. Le chemin semble long (1,4 km). Ça n'en finit pas. On voie Trient en contrebas, à droite, et on va dans l'autre direction... Je suis avec un gars qui râle, il veut abandonner à Trient. Moi, je suis dans ma bulle, sa mauvaise humeur ne m'affecte aucunement.
J'allume la Petzl, c'est maintenant la nuit. La descente est indiquée à droite. C'est le nouveau chemin dont a parlé Vincent Delebarre dans ses chroniques. Au début, on coupe à travers tout, dans la forêt. On glisse dans la terre, parmi les rochers et racines. J'aime pas. Ensuite, on traverse un champ. C'est très raide. J'aime vraiment pas. Enfin, on arrive aux creux de la vallée. Ensuite, longue ligne droite vers le ravito de Trient. Accueil très chaleureux. Tout le monde est au petit soin. 25h de course.
J'avale deux trois trucs et je repars avec deux hongrois du Team Olang. On quitte rapidement Trient pour la montée vers les Tseppes. Ça se monte bien. Tamas et Laszlo prennent très bien le relais. On en profite pour discuter un peu. J'avoue que c'est un peu dur de trouver les bons mots en anglais, mais le message passe, on se comprend, c'est l'essentiel. Bon, je trouve le chemin un peu long quand même.
Et j'ai une envie soudaine de dormir. Cette fameuse 25ème heure... Dès que j'aperçois les parties herbeuses, je sais qu'on arrive bientôt au Chalet des Tseppes. Il y a un grand feu, je prends une bonne soupe et je mets la gore tex. Le vent s'est levé, fait pas chaud maintenant. Il reste une petite montée, puis on bascule sur Vallorcine. Je me sens à l'aise et je passe en tête devant Laszlo. Descente rapide. Je me repère bien avec mes deux lampes et nous mettons le turbo. Passage à la plateforme frontière, retour en France, je bois un verre et Vallorcine est bientôt en poche. Enfin bientôt, c'est vite dit. La piste de ski est toujours aussi désagréable et longue. On prend ensuite un petit chemin en forêt, pierres glissantes et beaucoup de racines. Je ressens pas mal la fatigue maintenant et cela joue sur le moral. Le terrain semble plus difficile.
23h40, nous sommes à Vallorcine. Je me ravitaille. Le médecin me trouve fatigué. Il me dit qu'il faut me requinquer avant de repartir, sinon... Quoi, vont pas m'arrêter si près du but ! Je mange tout ce qu'on me donne, je fais sourires sur sourires. Les hongrois veulent faire moins de 30h. Je leur dit qu'il reste une grosse difficulté dans la Vallée de Chamonix, qu'ils ne faut pas m'attendre. Ils s'excusent presque et filent, je les encourage. Après 20 mn au chaud, le médecin me laisse partir. Après quelques foulées, je remonte sur Stefan, un suisse avec qui je terminerais cette aventure. Stefan est de Davos. Super sympa ce gars. Il fait de la haute montagne, comme moi. Un jour, on fera peut-être le Cervin ensemble.
Le chemin des Diligences me semble une formalité. Stefan décroche et je l'attends au niveau du Col des Montets. A Tré le Champ, on discute un peu au pointage. Après, je sais ce qu'il reste à parcourir. La première partie du chemin passe bien, je lâche un peu Stefan qui ne veut pas que je l'attende. Passage au point de contrôle du sentier des gardes à 29h38. Ensuite, c'est technique et un vrai jeu de piste. Il y a des balises lumineuses partout. Je tombe sur un gars qui s'est perdu et ne trouve pas le chemin. Je lui montre et l'attend régulièrement. En fait, c'est rassurant d'être à deux. Je commence à manquer de lucidité.
Après cette première partie technique du sentier des gardes, j'attends encore le gars. Les minutes s'égrènent. Finalement, deux loupiotes arrivent en chancelant : c'est Stefan et l'autre gars. Nous repartons et bientôt, c'est la fin du sentier des gardes. Et je suis soulagé. Pas de blessure. Ce serait un drame pour moi si près du but.
Arrivé au croisement avec la route carrossable de la Flégère, je rassure Stefan, c'est bientôt la fin. Stefan souffre de ses genoux depuis Champex. Nous trottinons tranquillement sur le chemin qui mène à la Floria. La fille du ravito est ravie de nous voir. Certains sont passés mal en point. Ce sentier des gardes, c'est pas la meilleure idée du traceur de l'UTMB. Stefan et moi partageons le même avis : c'est un truc de fous ce tour du Mont Blanc. On le refera pas. Faut vraiment être tordus pour se lancer là dedans.
On descend tranquillement sur Chamonix. C'est la route des Nants, on arrive. Entrée dans Chamonix désert, et pourtant, les spectateurs courageux sont là et nous encouragent. Passage de la ligne d'arrivée à 3h20, dimanche 29 août 2004. Nous avons fait le tour du Massif du Mont Blanc en 31h14. Avec Stefan, on trinque à cette 58ème place. Une bonne bière, ça régénère. Un jeune gars nous demande si on va retenter l'aventure. C'est amusant, on lui a répondu en cœur : on signe déjà pour l'année prochaine. Et lui de répondre : moi aussi, je passe de l'autre côté. Nous sommes restés une bonne ½ heure à encourager les arrivants.
Ensuite, je suis allé prendre une bonne douche et je me suis allongé. J'ai tenté de dormir. Après un tel périple, c'est difficile. On revit chaque instant. Surtout les hauts, on oublie les bas. Au petit matin, je suis vite retourné sur le parcours, au Col des Montets plus précisément, pour encourager tous ces fêlés qui réalisent leur rêve - et mon rêve - faire le Tour du Mont Blanc et ses 158 km d'un seul trait, en moins de 45 heures.
Épilogue (provisoire...)
L'Ultra Trail du Tour du Mont Blanc 2004 : ma découverte de l'ultra et des sensations extrêmes avec l'euphorie, l'introspection, la résignation, le dépassement, le bonheur… la révélation que ce sport est fait pour moi.
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