A chacun son sommet

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UTMB 09 : Un long voyage autour du Mont Blanc

  

Les encouragements sont généreux en ce dimanche matin à Chamonix. J'ai une foulée alerte et je termine avec beaucoup d'émotion mon cinquième Ultra Trail du Mont Blanc. Encore un beau voyage en montagne… mais un long voyage. J'envisageais de passer sous cette barre symbolique des 30 heures… je me suis juste trompé d'une dizaine, ce sera en moins de 40 ! Certains seraient déçus… d'autres auraient même abandonné. Moi, je vois les choses différemment.

 

 

 

Le final face à la chaîne du Mont Blanc

 

Dimanche, à 6h40, me voilà à Vallorcine. Les sensations sont vraiment bonnes désormais, pourtant je suis en course depuis plus de 36 heures. Enfin, il s'agit plutôt d'une longue randonnée sportive ! C'est le lever du jour, le panorama sur le Mont Blanc s'annonce superbe. Je sais qu'il reste 18 km avant d'atteindre Chamonix. Je me dis que c'est possible d'y être en moins de 40 heures. 

 

Et je débute (enfin) ma mutation en chamois. Je file sur le chemin des diligences en direction du Buet, puis du Col des Montets. J'entame la montée vers la Tête aux Vents avec un bon rythme, remontant de nombreux concurrents. Depuis le départ, c'est la première fois que je monte comme je sais le faire d'habitude. 

 

 


Je savoure tous ces sommets face à moi. L'Aiguille Verte est magnifique, les Drus… le Glacier d'Argentière. Ce massif est vraiment de toute beauté. Je poursuis ma progression pour atteindre la Tête aux Vents, face à la Mer de Glace et aux Grandes Jorasses. Il est 8h45. J'aperçois la Flégère. Ce final est superbe. Je me souviens avoir emprunté ces chemins l'an passé, en pleine nuit… et mon jugement était tout autre. J'avais trouvé cette dernière difficulté inutile. Et avec Martxel et Sylvain, on désespérait d'arriver enfin à la Flégère. 

 

 

 

Là, je suis comme en apesanteur. Je prends énormément de plaisir à parcourir ces pierriers, ces beaux sentiers panoramiques. Je m'arrête pour prendre quelques photos. Pointage rapide à la Flégère… A la sortie du ravito, j'échange quelques mots avec des trotteurs de la PTL, puis je bascule dans la descente. En fait, depuis Catogne, je ne suis plus le même. J'ai l'impression d'avoir retrouvé mes jambes et mes bras. Je me laisse donc filer vers le chemin qui me conduit vers l'arrivée. Je double beaucoup de monde.  


Le chalet de la Floria… il doit rester 3 km environ. J'accélère encore. C'est fou de trouver de telles ressources en soi. Bientôt les premiers chalets de Chamonix. Je rentre dans la capitale de l'alpinisme. Passage de l'Arve… puis bientôt les derniers mètres. Il y a beaucoup de monde pour nous encourager. Un vrai bonheur. A 10h22, je franchi l'arche de l'arrivée.

 

 

 

Les conquérants de l'inutile

 

Cette ligne d'arrivée, j'y étais pour le départ, le vendredi soir, avec près de 2 300 autres participants. L'ambiance était joyeuse. J'étais extrêmement détendu, en compagnie de Caillou et de Caliméro. Nous avons écouté le briefing des organisateurs, leurs conseils et leur parler vrai, du genre : "le matos obligatoire, ce n'est pas pour embêter, mais pour pas crever en montagne" ou "la nuit s'annonce nuageuse et froide, la température pouvant descendre très vite... alors les danseuses... allez vous rhabiller !". 


L'organisation de cette épreuve est vraiment un modèle du genre... et pourtant, point de discours sentencieux, ni démago, comme a pu le faire une certaine presse. Ici, simplement des faits très pragmatiques pour responsabiliser et alerter. A chacun d'assumer. Et moi, je m'y retrouve pleinement. Merci pour votre engagement, votre passion, votre générosité et votre ténacité. 

 

 


J'ai été particulièrement ému par l'hommage rendu aux coureurs disparus au Grand Raid du Mercantour, à Karine Rubby. En lieu et place d'une minute de silence, tous les participants ont applaudi et fait un maximum de bruit à la mémoire de ces passionnés morts en montagne. Les conquérants de l'inutile… pour ceux qui ne nous comprennent pas. Des passionnés tout simplement, pour tous les autres.

 

 

 


En ce vendredi 28 août, sur la Place du Triangle de l'Amitié, je prends part à mon sixième UTMB. Le décompte avant le départ résonne dans ma tête. 18h30… et c'est parti pour un nouveau tour… direction les Houches, puis Saint Gervais, puis... je crois connaître ce parcours par cœur. Et pourtant, je ne m'en lasse pas. Les nuages bas masquent les sommets, mais qu'importe, la joie est là. Les spectateurs sont nombreux, nous devons pratiquement nous faufiler pour pouvoir avancer. Chamonix est transcendée par la clameur de cette foule. Sommet mondial de la course nature ? Je ne le sais. Mais dans tous les cas, cet engouement pour l'ultra-trail atteint son paroxysme, ici, à Chamonix. 

 

 


J'avance tranquillement, en faisant surtout attention à ne pas m'emballer. Ce départ est toujours grisant… mais après, on peut le payer extrêmement cher. J'ai laissé les bâtons dans le sac… je les prendrai plus tard. Me voilà aux Houches… et c'est la première montée, vers le Col de Voza. En chemin, je croise Denis, Pierre, Thierry, puis Doggy Run (Nathalie). C'est une grande aventure pour nous tous. Au Col, les nuages laissent entre voir le Mont Blanc et le Dôme du Goûter… superbe couché du soleil. Puis c'est la descente sur Saint Gervais… et la nuit qui commence. 

 

 

 

 

 

Les pélerins des temps modernes

 

Saint Gervais est toujours fidèle à sa réputation : un accueil magnifique. Il y a un monde fou. Beaucoup d'enfants sont là. C'est vraiment la grande fête pour tous ! Je reconnais mes supporters, ça fait super plaisir de les retrouver là. Je me ravitaille et sors ma frontale pour progresser dans la nuit. Je suis bien dans les temps, sur le même rythme que l'an passé. Je m'en réjouis. L'objectif de faire moins de 30 heures semble être à ma portée. Dans tous les cas, je le pense encore à ce moment là… car bien vite, il va falloir y renoncer. 

 

 

 


En direction des Contamines Montjoie, je commence à ressentir une profonde fatigue. J'ai les jambes et les bras en coton. Aucune douleur pourtant, seulement cette sensation étrange de ne pas avoir de force, juste ce qu'il faut pour avancer. Caillou me passe et m'encourage. Je lui souhaite bon voyage. Et j'avance toujours. Je commence à me faire pas mal remonter. Au début, je ne m'inquiète pas, car je trouve que certains vont vraiment vite. Pourtant, je prends rapidement conscience que c'est moi qui suis sur un faux rythme.  


Aux Contamines, une dame nous encourage et fait cette remarque de circonstance : « ce sont les pèlerins des temps modernes ». Dans la montée du Col de la Croix du Bonhomme, j'aurais exactement ce ressenti de faire une sorte de pèlerinage autour du Mont Blanc. Un sentiment curieux, certainement exacerbé par le fait de ne rien voir autour de soi, tant le brouillard était dense. Je mets mes pas dans celui de mon prédécesseur… presque un chemin de croix, tant la somnolence amenuise mes capacités. Et pourtant, je continue à avancer. J'espère juste que la forme va quand même revenir, car connaissant bien tout ce qui m'attend, j'ai conscience qu'à ce rythme… ça risque de durer longtemps !

 

 

La caravane passe… et je suis à côté

 

Caliméro est à mes côtés après Notre Dame de la Gorge. Il est vraiment bien, je suis très content pour lui. Je lui fais part de mon état, pensant au début qu'il s'agissait d'une fringale. Mais rapidement, je réalise qu'il en est tout autre : je suis tout simplement fatigué. L'UTMB est une épreuve qui nécessite un état de fraîcheur. Ce n'est pas mon cas. Depuis le début de l'année, j'ai enchaîné de nombreux trails pour me faire plaisir, pour partager. J'ai certes accumulé pas mal de foncier et de dénivelé, mais également de la fatigue. Le Lémurien m'avait alerté à ce sujet… mais on ne se refait pas… enfin jusqu'à maintenant.  


Au Col de la Seigne, me voilà en Italie. Près de 700 participants m'ont remonté. Je sais que beaucoup se seraient découragés. Moi, je me dis que je récolte juste ce que j'ai semé et j'assume donc. Pourtant, avec le Col du Bonhomme, jamais des montées ne m'auront semblées aussi longues et fastidieuses. Lorsqu'on ne voit rien, et même quand on connaît le parcours, on se demande tout le temps : mais quand est ce que ça va enfin s'arrêter de monter ! C'est d'autant plus difficile, lorsqu'on apprécie habituellement de monter justement.  

Les descentes sur les Chapieux et sur le Lac Combal, ce ne fut pas grandiose non plus. Je me suis contenté de trottiner pour limiter les dégâts et surtout ne pas m'arrêter. Entre les deux, à la Ville des Glaciers, j'ai tout de même songé à aller demander asile dans une ferme dont les lumières étaient restées allumées. Puis je me suis ravisé, en me disant qu'il fallait mieux marcher en dormant.

 

 

L'ivresse des montagnes

 

Le jour se lève au Lac Combal. J'adore le versant italien du Mont Blanc… et je vais me régaler pendant cette magnifique journée. Je me ravitaille bien, puis j'entame la montée vers l'Arête du Mont Favre avec un panorama à couper le souffle sur tous ces magnifiques sommets. Nous sommes à la file indienne sur ce beau sentier. Et, chose surprenante – et fort agréable – je commence à remonter. Je commence à dire « pardon, je passe à droite ». Bon, ce n'est pas la panacée, mais ça va beaucoup mieux tout de même. Le Glacier de Miage est de plus en plus sec. Passé l'arête du Mont Favre, je bascule vers le Col Chécrouit, puis Dolonne. La nouvelle descente est superbe. 

 

 

 


Je suis avec un groupe d'allemands et d'italiens. C'est ce qui est bien sympa autour de ce Mont Blanc, on a le sentiment de faire le tour du monde : ça parle toutes les langues. Très dépaysant en tout cas. Et lorsqu'on ne se comprend pas bien, on utilise les mains (mais attention aux bâtons, ça peut être dangereux !). J'arrive à Courmayeur juste avant 10h du matin. Je ne suis jamais arrivé si tard dans la cité valdotaine. Et pourtant, je suis ravi d'être là. Ravi d'en avoir terminé avec cette nuit. Ravi d'emprunter ces chemins du Val Ferret. 


Seule une pointe de déception, vite évacuée, gâche un peu ce plaisir. Mes supporters ne sont plus là. Caliméro et Caillou sont passés plus de 2 heures avant… et comme tout le monde fait du co-voiturage, ils sont partis pour la Fouly. C'est dommage, mais c'est ainsi, d'autant qu'ils avaient largement le temps de m'attendre. Mais je n'avais qu'à aller plus vite ! Heureusement, je me suis refait une petite santé. Et puis, je reçois pleins de sms d'amis. Moi qui habituellement ne suis pas friand de cette technologie, j'avoue que ça me fait le plus grand bien.

 

 

 

La vaillance et le mental

 

C'est le plus grand enseignement de cet UTMB : là où il y a une volonté, il y a un chemin. Cette devise d'un cadran solaire de la Haute Vallée de la Clarée, je l'ai fait mienne pendant tout mon cheminement. J'ai puisé dans tous ces souvenirs positifs (La Piste des Oasis, l'Euskal Runner Camp, la Petite Trotte à Pilou…) pour aller au-delà de ce que d'aucun aurait fait : s'arrêter dans de telles circonstances et rendre son dossard. 

 

 


Non pas parce que je suis un « guerrier », comme aime me le dire un de mes meilleurs amis, « le poulet ». Non, tout simplement parce que j'aime positiver les choses. Il ne s'agit pas ici de courage, mais plutôt d'engagement et de respect. Du coup, cet UTMB que j'escomptais faire en moins de temps possible… et bien – par la force des choses - j'ai pris le temps de le faire en admirant au maximum ces belles montagnes. 

 

 

 


Et avec la Dent du Géant, la Noire de Peuterey, les Grandes Jorasses, le Mont Dolent… j'ai été gâté. C'est là que j'ai trouvé toutes mes ressources, en discutant avec les bénévoles si prévenants et disponibles, en appréciant ce thé chaud offert par des enfants à Praz le Fort avec ce mot si sympa d'un petit gars suisse « allez Monsieur, encore une nuit et une montagne » !


Un proverbe indien dit : « Si tu veux aller loin et haut, accroche ton char à une étoile ». Cette fameuse étoile, ce n'est pas dans le ciel que je l'ai trouvée (d'autant que lors de la première nuit, on ne voyait rien), mais c'est tout simplement dans le plaisir que je prends à partager ma passion pour la montagne.

 

 

 


 40 heures autour du Mont Blanc

 

A partir du Grand Col Ferret, je n'ai passé mon temps qu'à remonter dans le classement. Il faut dire que j'étais tombé dans les abymes, flirtant même avec les barrières horaires à Arnuva. Une nouveauté pour moi et une belle leçon d'humilité, une nouvelle fois. Je me suis reposé un peu à Champex, pour entamer une seconde nuit. Antonio, un gars bien sympa, fut mon compagnon de route un bon moment. Il n'était pas très à l'aise de nuit, du coup, je lui servais de guide et lui m'offrait sa présence.  


La nouvelle descente sur Vallorcine m'a donné des ailes et j'ai pu terminer cet UTMB dans les meilleures conditions. Après mon arrivée et la joie d'avoir terminé une nouvelle fois cette superbe épreuve, une pointe de frustration a émergé en moi : Et si je n'en avais pas fait tant avant l'UTMB, aurais-je atteint mon objectif ? Ai-je raté ma préparation ?  

 

 

 

 


Mais bien vite, j'ai rangé mon orgueil au placard, tout comme ce polaire finisher. J'ai pris beaucoup de plaisir sur cet UTMB. Et même si tout n'a pas été comme je l'avais souhaité – enfin surtout rêvé (car je n'ai peut-être tout simplement pas le niveau pour faire moins de 30 heures) - je m'en satisfais pleinement. Je termine fatigué, certes. Il me reste désormais à bien me reposer… et à penser à d'autres projets pour 2010 ! (enfin, pour être honnête, c'est déjà fait !). 


Comme à chaque fois, je tire des enseignements de mes expériences. Je sais être à l'écoute de conseils avisés. Je vais donc apprendre à associer mon enthousiasme avec la modération. Choisir, c'est renoncer. Ne pas être trop gourmand… pour pouvoir savourer jusqu'à la lie tout en préservant la passion. Un grand merci à tous ceux qui œuvrent pour la réussite d'une si belle épreuve et tout particulièrement aux 1500 bénévoles. Bravo à tous.

 

 

 

 


 



01/09/2009
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