A chacun son sommet

A chacun son sommet

TOR DES GEANTS 2011 : Au Crépuscule d’un Rêve Absolu (3)

  

Je regarde ma montre : 6h du matin. Je suis dans un bâtiment aux grands plafonds. Il me faut quelques secondes pour réaliser que je suis en Italie, à Gressoney-Saint-Jean. Et oui, c’est bien cette aventure du Tor des Géants qui se poursuit. Et plutôt bien d’ailleurs. Car si pour certains ça a tourné à l’Enfer, moi, c’est plutôt au Paradis que je me trouve. Comme le Parc National que nous avons traversé il y a déjà pas mal de kilomètres de là. Une nouvelle journée débute. C’est mercredi. Et c’est ravioli. J’ai vraiment bien profité de ce repos. Et je me sens régénéré. Aucune courbature. Dire que j’ai déjà réalisé 200 km depuis ce départ de Courmayeurje viens d'entrer dans une nouvelle dimension de l'ultra en montagne. 


Mon cinquième trail va me conduire jusqu’à Valtournenche, soit 36 km pour 2749 md+ et 2676 md-. C’est une belle portion qui semble un peu plus modeste (si on peut dire) que les précédentes. Je vais dans la grande salle du gymnase qui sert de réfectoire. Philippe et Frédéric sont déjà prêts à partir. De mon côté, je veux prendre le temps de bien me restaurer. Je demande des pennes à la tomate. Le chef super sympa me les sert cuisinées aux petits oignons. Un régal à 6h15 du matin ! Je déguste de la muceta, un œuf dur, du fromage et des yaourts. Et je fais le plein de jus de fruit. Une fois l’homme bien rassasié… je passe au poste de contrôle et je quitte cette base vie de Gressonney-Saint-Jean.

 


Dès la sortie, je me mets à trottiner. Un rythme pas bien rapide, du 9-10 km/heure peut-être. Mais assez efficace. Me voilà dans le beau centre ville de Gressoney. Les demeures sont somptueuses et les fleurs agrémentent au mieux balustrades et massifs. Vraiment un charmant endroit. Je continue à courir et rapidement je me retrouve au niveau de mes deux acolytes d’hier soir. Nous poursuivons ensemble. Philippe décroche petit à petit. 5 km après Gressoney, voilà le hameau Chemonal à la côte 1421. Je traverse le torrent du Lys par un pont qui me conduit ensuite vers un beau sentier. La cadre est bucolique. Nous montons vers le hameau walser d’Alpenzu. Il y a de nombreux chalets en bois assez typiques. Les lacets sont agréables et j’arrive bientôt à proximité de la Chapelle Saint Anne. De là, je fais une pause au Refuge Alpenzu (1779 m). J’en profite pour me ravitailler en fruits et en coca.

 

 

 

Les ruelles de ce village walser sont magnifiques. Les chalets ont beaucoup de charme et me rappellent les Mazots du Valais Suisse et de Zermatt. La trace chemine dans différents alpages (Ondermonte et Loasche). Le Mont Rose est droit devant moi. Que dire ? C’est magique et somptueux. Je m’arrête pour prendre ma casquette dans mon sac. Frédéric est à quelques mètres derrière moi. J’attends qu’il me rejoigne, puis nous partons ensemble vers le Col Pinter (2776 m). Nous passons dans un hameau en ruines, puis la pente s’accentue en direction du Col. Il n’y a pas à se tromper : il est bien visible, là au fond du vallon. Nous l’atteignons finalement assez rapidement. C’est sympa de partager ces moments.

 

 

 

 

 

 

 

 

Au Col, avant de basculer dans la descente vers le Val d'Ayas, nous profitons du panorama sur le Cervin et le Mont Rose.  L’amorce de la descente est ardue. Il faut être vigilant. Frédéric me fait remarquer qu’il est préférable d’y passer de jour, plutôt que de nuit. Je m’aide de la main courante pour passer une section un peu plus technique… puis je me laisser glisser dans la descente, tout en faisant attention à ne pas m’emballer. Bien vite, un fou furieux nous double en sautant comme un chamois : c’est Philippe ! Il semble heureux. Il nous dit qu’il a une super pêche. L’euphorie matinale… c’est un piège de la montagne. Surtout sur des épreuves aussi longues. Avec Frédéric, nous continuons à notre rythme… et nous voilà sur un beau sentier en balcon (chose très rare sur ce parcours assez technique !).  

 



Nous laissons aller notre foulée qui nous conduit au hameau de Cuneaz (2095 m) au km 214,7. Et là, je dois dire que je vais avoir ma plus belle surprise de ce Tor des Géants. Dans ce beau village walser, il y a un restaurant : l’Aroula. Les propriétaires ont organisé de leur propre chef un ravitaillement. Et quel ravitaillement ! C’est digne d’une table d’hôte. Nous avons droit à des jus de fruit, des barres de chocolat aux amandes, du jambon sec, des tartes… c’est un ravissement ! Je me régale, puis je quitte ce lieu unique, la tête dans les nuages. Je suis tellement satisfait… que j’en oubli mes bâtons.

 

Heureusement, je le réalise assez vite, et je fais demi-tour pour les récupérer. Ces bâtons, c’est ma deuxième paire de jambes. Ils sont extrêmement précieux. Surpris de me (re)voir, les propriétaires ont un large sourire lorsqu’ils comprennent ma bévue. En sortant, je laisse trainer mon regard sur un bac de glaces. Ni une, ni deux, on me demande si cela me fait envie. Je ne peux que répondre favorablement. Du coup, voilà le Pilou qui repart avec ses deux bâtons dans la main gauche, et déguste un corneto au chocolat dans sa main droite. Finalement, j’avais bien fait de les oublier ces fameux bâtons !

 

 

 

 


Je file ensuite vers le Vieux Crest (1952 m) et son Refuge, où je pointe à 10h30. Je laisse Frédéric en lui disant qu’on se reverra plus tard. Pratiquement 1500 md+ de fait depuis Gressonney. Il reste une petite montée, avant de basculer vers Saint Jacques (1697 m). Le temps est radieux et je suis extrêmement bien. La descente sur Saint Jacques est fort agréable. De beaux zigzags en sous bois. Et j’entre dans le village sous de nombreux applaudissements. A 11h45 et après 222 km, j’ai le plaisir de boire une excellente bière pression. La première gorgée est divine. Me voilà prêt pour le prochain Col, le Col de Nannaz à 2772 m. J’y vais d’un pas assez alerte.

 

En 5 km et 800 md+, j’arrive au Grand Tournalin à la côte 2535 m. Le trio Frédéric, Philippe et Pilou se retrouve. Je me régale d’une excellente salade de fruits frais. Philippe nous annonce qu’il va rester un peu pour se refaire. Il reste un peu plus de 200 m pour atteindre le col. De là, il suffit (!) de prendre un peu d’élan dans la descente… pour remonter sur le prochain col ! Celui des Fontaines (2695 m). A partir de là, nous avons droit à une fabuleuse descente. Une de ces rares descentes du Tor des Géants dans laquelle on peut courir. A un moment, je passe devant des ruines… et un photographe officiel de l’organisation me demande si je peux repasser… pour prendre une photo. Je le fais bien volontiers (c'est la dernière de la série ci-dessous). Je croise ensuite de nombreux randonneurs. Et j’ai droit à une succession de « fantastico, bravissimo, fortissimo, complimente ! ». C’est énergisant.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Au hameau de Cheneil (2097 m), des jeunes arrêtent de jouer au foot pour venir m’encourager. L’organisation dira plus tard que plus de 120 000 personnes du Val d’Aoste se sont mobilisées pour ce Tor des Géants. Je n’en suis pas étonné, tant la ferveur populaire est palpable chaque jour. Et plus j’avance dans ce Tor de Géants… plus les regards sont emprunts d’un profond respect pour ce que nous réalisons. Je crois simplement que chacun estime, ici, la portée de notre passion. C’est spontané, sincère et vrai. Le plus beau cadeau que notre sport peut nous offrir. Un vrai retour aux sources. 

 

Je me rapproche de Valtournenche et du village de Crétaz (1515 m). Me voilà à la cinquième base vie du Tor des Géants, km 236. Il reste moins de 100 km pour rallier Courmayeur. Il est un peu plus de 15h. J’y resterais à peine une heure. Le temps de me doucher et de me ravitailler. Frédéric et Philippe me rejoignent. Nous prenons un bon repas ensemble. Je discute avec Géraldine qui part un peu avant moi. Puis je reprends mon périple. Toujours avide de parcourir ces fabuleuses montagnes ! La portion que je vais réaliser va me conduire pendant un bon moment au dessus de 2500 m d’altitude. J’envisage de progresser toute la nuit et de juste m’autoriser quelques haltes en refuge. Pour rejoindre Ollomont, il y a donc 44 km pour 3404 md+ et 3534 d-.

 

 

 

Un bénévole m’accompagne pendant les 500 premiers mètres, tout en me décrivant précisément ce qui m’attend. Ça va monter sec au début, ensuite ce sera plat un bon moment… avant d’entamer le cheminement des crêtes. Je suis confiant. La route me conduit à Valmartin (1510 m). Puis j’emprunte un agréable chemin qui me fait rapidement prendre de la hauteur jusqu’à un grand bâtiment. Il s’élargit pour aboutir à un site pas franchement beau : la centrale hydroélectrique de Maen. Je poursuis jusqu’au barrage de Cignana. Au Refuge Barmasse (2175 m), je bois un grand café, puis je file en trottinant sur une longue piste. Une très longue piste, très monotone. De temps à autre, je mange un nounours Haribo. Un de ces petits plaisirs de traileur, sachant que tous les crocos Haribo y sont déjà passés… 

 

 

 

 

Je suis content lorsque je la quitte pour traverser des pâturages à flanc de montagne. Je monte en direction du Col Fenêtre d’Ersaz (2293 m), qui est bientôt à moi. Tout ce passage est superbe. Je progresse toujours aussi bien pour rejoindre Vareton, puis je me dirige vers la Fenêtre de Tzan à 2738 m. La luminosité commence à baisser. Ça sent la fin de cette formidable journée. Je vais bientôt entrer dans la progression nocturne. Tout ce vallon est bien agréable. La pénombre s’installe, mais je n’allume pas ma frontale. Devant moi, j’aperçois une loupiote qui vagabonde. J’aimerais bien la rejoindre pour avoir un compagnon de route. Ou plutôt une compagne… car je sais que c’est Géraldine qui est devant. 

 

 

 

 

A la Fenêtre de Tzan (2738 m), je viens de franchir le 250ème km ! Je sors la frontale, les gants et la veste GoreTex. Il fait beaucoup plus frais déjà. La descente du Col est mémorable. Que je suis content d’avoir des bâtons ! C’est assez hasardeux.  Une fois les 100 premiers mètres de passés, ça va beaucoup mieux. En face de moi, je vois un foyer rougeoyant. C’est le refuge qui m’attend. Mais les effets optiques de nuit sont piégeurs. Il reste encore du chemin avant de rejoindre le Refuge ! Encore 150 m de descente pour arriver au Bivouac Reboulaz (2585 m).

 

J’y rentre et la bonne odeur de soupe me monte immédiatement aux narines. Excellent accueil. C’est une ambiance haute montagne ! Je m’installe à table. Géraldine déguste sa soupe. Elle me dit qu’il lui serait agréable de faire un bout de chemin avec moi. On est d’accord pour marcher de nuit. Après un bon repas, nous voilà donc de sortie, à l’attaque du prochain Col. Juste en sortant, Frédéric entre. Je le salue et lui souhaite bonne route. Bien vite, nous voilà au Col Terray à 2775 m. Il s’agit ensuite de descendre sur le Refuge Cuney (2652 m). Avec Géraldine, on discute pas mal de trails et de voyages. Comme nous avons tous les deux pas mal bourlingué, c’est vraiment un enchantement. On se refait le Grand Raid de la Réunion, l’UTMB et d’autres périples. Bref, des discussions entre passionnés.

 

Nous sommes accueillis au Refuge Cuney par, encore une fois, de très sympas bénévoles. Il est un peu plus de 22h30. On ne traine pas… pour ne pas se refroidir. Désormais notre prochain Col est celui de Chaléby (2653 m). Nous sommes sur des crêtes. Le paysage doit être somptueux. Là, on le devine grandiose. La mer de nuages et les étoiles concourent à donner une ambiance très « bonne nuit les petits » ! Pourtant, il faut être vigilent, car certains passages sont assez engagés. Et il ne faudrait pas que le marchand de sable se pointe ! Le vent se lève. Je commence à prendre le sommeil. J’en alerte Géraldine. Bientôt, c’est le Bivouac Rosaire-Clermont à 2700 m. Je décide de m’allonger une vingtaine de minutes pour récupérer. Géraldine préfère continuer. 

 

Parcours du Tor des Géants (cliquer sur l'image pour agrandir)

 

Après cette pause, je me suis bien refait. Les crampes gênantes à l’estomac, dues certainement à un coup de froid, ont disparu. Je repars. Il ne faut pas trainer dans ces lieux si accueillants… car après on a la glue et on ne veut plus partir ! Le Col de Vessona (2788 m) est à moins de 100 m juste au dessus. Il y a un zef vraiment frais. M’y voilà ! Désormais, c’est la descente. Et quelle descente diabolique. Le gars du bivouac m’avait prévenu, mais je ne m’attendais pas à ça quand même. Je descends comme sur des œufs, cramponné à mes bâtons. Une descente dantesque. Je serai vraiment content d’arriver en bas ! A mi-pente, ça va mieux, et je peux enfin me relâcher... et me décrisper.

 

Et je repense aux mots d'Ulrich Gross (vainqueur de la 1ère édition) lors de la conférence de presse d'avant course. A la question d'un journaliste lui demandant pourquoi le Tor des Géants pouvait être considéré comme l'une des plus difficiles épreuves au monde, Ulrich avait eu une réponse toute simple. La distance de plus de 300 km non stop, la technicité du parcours et l'accumulation du dénivelé positif, mais aussi négatif, sont autant de paramètres à considérer. Et les descentes, contrairement à ce que beaucoup peuvent penser, sont beaucoup plus traumatisantes pour l'organisme que les montées. Et sur ce Tor, s'il y a bien 24000 md+, il y a aussi 24000 d- ! Je songe alors aux pauvres qui auront mal aux quadris. Un vrai purgatoire. Cette descente du Col de Vessona est à descendre à l’envers pour certains !

 

Une fois en bas, c’est le début des réjouissances dont je me serais volontiers passé… Mais bon, on y a tous eu droit, alors maintenant, ça me décroche un sourire ! Dans cette zone d’alpages, il y a des vaches. Et vous savez ce qu’elles font les vaches du Val d’Aoste ? Je vous le donne dans le mille : elles bouffent les petits fanions qui nous servent de repère. Du coup, plus de marquages. Le Pilou est paumé en pleine montagne. Je vais tourner une bonne demi-heure… et mon sauveur sera Fabio. A deux, on arrivera en effet à retrouver notre chemin. Un bien long chemin… qui nous conduira à Oyace-Closé (1456 m). Que je suis content d’y arrivé. Km 271. J’ai laissé beaucoup de jus sur cette section. Il est 4h30. J’ai mis pratiquement 6 heures pour faire 14 km ! A Closé, je décide de me reposer un peu, histoire de reprendre des forces. Je retrouve Géraldine qui est bien peinée. Elle s’est blessée dans cette fameuse descente du Col Vessona. Une déchirure musculaire au mollet. Nous décidons de repartir ensemble.

 

  

 

Bien vite, Géraldine me dit de filer. Qu’elle continue vaille que vaille. Je l’encourage et avance vers Bruson l’Arp (2091 m). Là, les bénévoles bien matinaux m’accueillent. Le jour se lève. Mon dernier jour peut-être. Car je songe désormais qu’arriver ce soir à Courmayeur est possible. Ce sera ma « Quête de l’Ange ». Je passe le Col Bruson à la côte 2492. Km 277. Ollomont est en bas dans la Vallée, juste en dessous. Mais bien sûr, la Haute Route en fait tout le tour ! Le bénévole me conseille d’être prudent (encore une fois) dans la descente. Ce que je suis. Je file donc sur ce beau chemin. J’ai les yeux un peu embrumés, mais la forme est là. C’est une bien belle Vallée qui se présente à moi. Encore une. 

 

Je m’approche des premiers chalets… Je marche tranquillement sur cette route profitant de la vue sur les montagnes. Bientôt, j’aperçois la dernière base vie de ce périple : le hameau de Rey (Ollomont), à 1385 m. L’accueil, encore une fois, y est formidable. Mon sac jaune. La douche, le bon repas, et hop, c’est reparti ! Je n’aurais passé que 24 minutes dans cette base vie. Le record de mon Tor des Géants ! Il est donc un peu plus de 9h30 lorsque j’emprunte la dernière section du parcours qui doit me conduire au Jardin de l’Ange de Courmayeur : 49 km, 2905 md+, 3104 md- 

 

 

 

Je quitte donc ce beau hameau de Rey pour rejoindre l’Alpage Champillon à 2057 m. Je suis désormais 40ème. Le chemin est tout tranquille. C’est une montagne apaisée, après toutes ces portions faites de rochers et de pierres. Je suis angélique. J’avance d’un pas nonchalant en contemplant les cimes environnantes, notamment le Grand Combin. Me voilà au Refuge Létey-Champillon (2375 m), où la propriétaire me réserve un accueil chaleureux. On discute un peu et je bois une bonne bière accompagnée de Fontine (excellent fromage italien). Et me voilà à l’assaut du Col Champillon à 2709 m.

 

 

 

 

 

Ensuite, je me laisse filer vers Ponteilles Damon (2046 m). Une belle descente, tout en souplesse. Et j’arrive à Desot (1807 m), où je retrouve la Souris. Je me ravitaille et je reprends mon chemin. Virginie me trouve particulièrement en forme. Je l’encourage, car elle semble assez fatiguée. Ma béatitude du moment est altérée par des coups de semonce réguliers. Je ne comprends pas tout de suite de quoi il s’agit. Mais à la vue d’un camion de l’Armée Italienne, j’en déduis bien vite que des soldats font des exercices de tir. Je préfère le silence de la montagne. Pour rejoindre Saint-Rémy, il s’agit d’une longue piste de plus de 10 km. Je trottine et ça me fait gagner pas mal de temps. Arrivé sur le bitume, je passe devant Saint Rémy, signe que les 300 km sont désormais dépassés.

 

Et je rallie bien vite Bosses au km 304, pour un bon ravitaillement. Je me rassasie de viande séchée. Il fait désormais bien chaud. Normal, il est 15h18. Je file désormais vers Merdeux. Je suis avec Eric, un belge de Namur. Nous nous dirigeons vers le dernier (et donc 25ème col !) de ce Tor des Géants : le Col Malatra (2925 m). Je traverse successivement les hameaux de Couchepache et de Motte pour rejoindre l’Alpage Merdeux Desot (1950 m), puis Tsa de Merdeux (2273 m). Je me ravitaille d’une bonne bière. Ça fait beaucoup de bien, car j’avais la bouche en feu. Il me reste à rejoindre ce fameux Col Malatra. L’air est chaud. Je racle comme un fauve. La gorge me brûle. Je m’encourage.

 

J’arrive bientôt au pied des contreforts du Col. C’est un passage technique qui se présente. Il y a des mains courantes. J’ai du mal à saisir la corde. J’ai l’impression d’être saoul. L’altitude ? La bière ? La chaleur ? La fatigue ? Je serai dans tous les cas bien prudent dans ma progression, pour atteindre finalement cette côte 2925. Voilà un très gros morceau de fait ! Magnifique panorama sur le Massif du Mont Blanc et notamment les Grandes Jorasses. Je bascule dans la descente… direction le Refuge Bonatti (2025 m). De ce Vallon de Malatra, nous avons un très beau point de vue sur la Pointe Walker.

 

 

 

Toutes ces magnifiques montagnes me font un peu oublier une douleur qui devient persistante – et handicapante – au niveau du releveur gauche, puis du droit. Mes pieds ont beaucoup gonflé, tout comme mes mollets. Et mes chaussures, ces SkyRace si costauds et confortables, me semblent rétrécir. Il me faudrait du 43,5 au moins (1,5 pt au dessus de ma pointure !). J’ai mal à chaque butée. Mais je veux continuer à trottiner… et je m’aide donc de mes précieux bâtons. Je suis en train de me prendre de sacrées tendinites. Mais je suis résistant au mal, et je l'oublie. Au delà du physique, à l'approche du point de rupture, c'est le mental qui nous porte.  

 

Au Refuge Walter Bonatti (2025 m), il est 19h50. Km 320. Il reste donc 12 km à parcourir. Un bon expresso est le bienvenu. Et me voilà sur les chemins du Val Ferret. Je le connais ce sentier, emprunté lors de mes multiples participations à l’Ultra Trail du Mont Blanc. Le Mont Dolent n'est pas loin. Ce sommet transfrontalier entre la France, la Suisse et l'Italie, les trois grands pays alpins. Je suis au coeur des Géants. Les lumières du soir. C’est somptueux. Toute cette chaîne du Mont Blanc et ses faces italiennes. Ça me galvanise et me donne du courage.

 

 

Je mets la frontale pour une dernière fois. Je traverse l’Alpage d’Arminaz (2009 m). Il reste 10 km. Je dois dire que là, je suis désormais impatient d’arriver. Les incessantes montées et redescentes provoquent en moi une certaine lassitude, sans pour autant que j'en sois désabusé. Je prends toujours le bon côté des choses, c'est ma nature. Tout ce qui est fait n'est plus à faire. C’est le crépuscule de mon voyage. Lèche, puis le Refuge Bertone à 1989 m. Je suis fourbu. Mon corps m’envoie des alertes me demandant le repos. J’ordonne à mon cerveau de neutraliser ces ondes négatives. C'est la force de notre mental. Le corps humain est une machinerie exceptionnelle.

 

A Bertone, je prends le temps de mon dernier ravitaillement. Les bénévoles m’encouragent pour ces 4 ultimes kilomètres. Et me voilà dans la descente de Bertone, vers le Val Sapin. Une longue descente de cailloux, de pierres et de racines. Je domine Courmayeur scintillant de mille feux. Bientôt la route. Ça me réjouit. J’entrevois les premières maisons. Les premiers lampadaires. J’aperçois Didier assis sur la gauche. Il est venu à ma rencontre. Adorable comme d’habitude. Il m’annonce la superbe réussite de Laurent (7ème au classement général). J’en suis ravi. Reste au maximum un petit kilomètre. 

 

 

 

J’entre dans les ruelles de Courmayeur. Me voilà dans les rues commerçantes. Le tapis rouge. Les banderoles et fanions. Le speaker m’annonce. Je franchis la ligne d’arrivée à 22h30, ce jeudi 15 septembre 2011. Me voilà au Jardin de l’Ange. J’ai accompli mon rêve. Au-delà de mes espérances. Un rêve absolu pour l’amoureux des montagnes que je suis. Je termine 35ème en 108 heures 30 mn. Le Tor des Géants n’est pas une épreuve anodine. C’est une expérience ultime. Un voyage de tous les instants. Une rencontre avec un pays, un échange avec ses habitants, une communion avec la montagne, un dialogue avec la nature, un partage avec les participants, une confrontation avec soi même.

 

 

Le Dimanche 18 septembre, je suis revenu au Jardin de l’Ange. Pour une fête magique et magnifique. En l’honneur de tous les participants, finishers ou non. En l’honneur des organisateurs et des bénévoles. En l’honneur de la solidarité, du partage, de la joie, du goût de l’effort, du courage, du dépassement, du respect, de l’amour de la nature, de la vie et du sport. En l’honneur d’une Vallée de toute beauté, au cœur des Géants des Alpes, la Vallée d’Aoste. Une remise des prix comme je n’en avais jamais vécue. Deux emblématiques champions : Anne-Marie Gross et Jules Henri Gabiou. La sportivité de Marco Gazzola. Des modèles d’humilité, d’abnégation, de courage et de gentillesse. La culture montagne et l’esprit trail atteignent des sommets sur ce Tor des Géants. Cette participation marquera une étape clé dans mon expérience de traileur-montagnard et restera à jamais gravée dans ma mémoire.

 

 

 

 

Gressoney-Saint-Jean – Valtournenche - 36 km 2749 md+ 2676 md- : Roadbook

Valtournenche – Ollomont - 44 km 3404 md+ 3534 md- : Roadbook

Ollomont – Courmayeur - 49 km 2905 md+ 3104 md- : Roadbook

  

 

Profil du parcours réalisé (cliquer sur l'image pour agrandir)

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 Classement Général Tor des Géants 2011

 Site Web du Tor des Géants

  

 

 

 

 

 

Merci de tout cœur et bravo à tous 

 

Ma Galerie Photos

1ère Partie du Reportage - 2ème Partie du Reportage

Mon TdG 2012 : Le Val d'Aoste nous portera



21/09/2011
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