A chacun son sommet

A chacun son sommet

TOR DES GEANTS 2011 : Les Passes-Murailles de l’Inutile (1)

 

 

Le Tor des Géants, c’est une épreuve que j’ai découverte à l’été 2009, à Chamonix, en discutant avec Alessandra Nicoletti, la Présidente de VDA Trailers, que je connais depuis ma participation au Gran Trail Valdigne en 2008. A l’époque, j’avais trouvé le parcours de ce Tor des Géants tellement énorme (deux UTMB en termes de kilométrages et encore plus au niveau du dénivelé positif et négatif), que je m’étais dit que ce ne serait pas pour moi. J'avais même songé : mais jusqu'où vont-ils aller dans la course au plus long, au plus difficile ? Quoi qu'il en fut, Alessandra avait ressenti ma passion pour la montagne et m’avait offert le topo complet des Hautes Routes Valdôtaines, ainsi qu’un DVD sur la Vallée d’Aoste. Elle me glissa dans l’oreille que j’y viendrai surement un jour… en rando-course ou en compétiteur. L'idée a fait son chemin et j'ai pris le temps de murir ce formidable projet.  

 

 

Italie, dimanche 11 Septembre 2011, me voilà au départ de la seconde édition du Tor des Géants à Courmayeur. 9h45, Place Abbé Henry, 1205 m. L'atmosphère est particulière. Faite de joie et de retenue. D'espoir et d'appréhension. D'impatience et de doute. Les regards en disent long. L'émotion est palpable. En italien, puis en français et en anglais, le speaker nous donne les dernières informations quant à la ballade peu anodine que plus de 500 traileuses et traileurs venus de 22 nations vont entreprendre quelques minutes plus tard. Le Tor des Géants, soit tout le tour de la Vallée d’Aoste par les Hautes Routes… voilà le défi que vont tenter tous les participants de cette seconde édition. Et j’en suis. 

 


 

332 km de distance à parcourir selon sa forme, ses envies, ses aspirations… sachant que le temps maximum est de 150 heures pour boucler une boucle franchissant pas moins de 25 cols à plus de 2000 mètres d’altitude, dont le point culminant passe par le Col Loson à 3299 m. Il faut donc rentrer avant samedi 17 septembre à 16h. Revenir ici même à Courmayeur, face au Mont Blanc et à cette Dent du Géant, après 24 000 m de dénivelé positif (et donc autant de négatif). Pas d’étapes obligatoires, mais au contraire une totale autonomie dans sa gestion de course… d’où la grande difficulté de cette épreuve hors des sentiers battus considérée comme l’une des plus dures au monde. 

 

 

Le Tor des Géants nous fait cheminer au cœur des Alpes, près des plus hauts sommets bordant la Vallée d’Aoste : le Rutor (3486 m), le Grand Paradis (4061 m), le Cervin (4478 m), le Mont-Rose (4684 m), le Mont Blanc (4810 m). Un périple « tra terra e cielo » (entre terre et ciel) par les Alta Via n°2 « Haute Route Naturaliste » et n°1 « Haute Route des Géants ». Le tout en traversant pas moins de 32 villages valdôtains ! Une immersion complète dans un univers de montagne et de haute montagne. Des sentiers, des alpages et pâturages, 30 lacs d'altitude, des crêtes et des arêtes, des fontaines et des cascades, des pierriers, des passages équipés, une riche faune et flore…  

 

 

7 bases vie et 43 postes de ravitaillement sont à la disposition des participants pour mener à bien leur périple et profiter au maximum du tracé exceptionnel de ce Tor des Géants. La gestion de l’effort, le respect de son corps, la force de son mental, la capacité d’adaptation et l’envie de dépassement sont les clés de ces « passes-murailles de l'inutile». L’amour de la montagne et du sport, la solidarité et le respect de la vie. L’âme, le partage, la joie de toute une Vallée ! Voilà les valeurs des organisateurs du Tor des Géants. Et je dois dire qu’au fil de l’épreuve, je vais pouvoir vivre pleinement ces valeurs uniques, tant l’accueil valdôtain et l’ambiance furent exceptionnels. Le Tor des Géants va au-delà d’une simple épreuve, c’est une expérience unique.

   


 

L’hymne du Tor des Géants donne les frisons… et à 10 h précises, voilà que le flux de participants s’engouffre dans les ruelles du centre ville de Courmayeur… en direction du premier col de ce périple : le Col d’Arp à 2571 m. Les encouragements sont chaleureux. Et c’est un sentiment particulier qui m’envahit. Je suis tout à la fois heureux d’être là, car j’anticipe déjà les superbes paysages que je vais découvrir… mais je me dis aussi combien cette aventure va s’annoncer dantesque… et peut-être démesurée pour moi. Ne vais-je pas trop loin en prenant part à ce Tor des Géants ? Je balaie ces doutes, car je connais mes motivations profondes à être là, au coeur de ces 4000 somptueux.

  


 

Une fois la route quittée, c’est désormais les premiers chemins, bien agréables. Sur la droite, le Mont Blanc se fait timide et se cache derrière de beaux nuages blancs. L'hélicoptère tourne au dessus de nous pour prendre des images qui devraient engendrer un DVD d'anthologie. Nous sommes à la file indienne, à grimper les flancs de la montagne, parmi les chevaux. Je suis vigilent à ne pas m’emballer, mais ce n’est pas facile de trouver le bon rythme. J'échange avec Sylvain le Globetrotteur. A quelle allure faut-il avancer… pour encore avoir du jus les jours suivants ? Au Col, nous sommes accueillis par les cloches, puis je bascule dans une belle descente… où j’ai une première inquiétude : j’ai mal aux adducteurs. 

 

  

 

 

 

Très curieux comme sensation. Mais peut-être tout simplement que je m’écoute trop. Du coup, je profite du paysage de ce vallon de Youlaz pour oublier cette petite douleur… qui disparaîtra aussi vite qu’elle était venue. Une petite route nous conduit directement à la Thuile. Je n’aime pas trop ce bitume, car on a vite tendance à se laisser emporter par une vitesse un peu trop élevée. J’y suis vigilent… et j’arrive à la Thuile (km 17), où je profite d’un excellent ravito. Et à partir de ce point… me voilà sur la Haute Route n°2, dite « Route Naturaliste ».

 

   


 

   

Je me dirige vers la Joux (1613 m) en prenant de la hauteur. Déjà, les concurrents commencent à sérieusement s’étaler sur ce parcours. La pente s’accentue et je m’arrête pour contempler une superbe cascade au dessus de Plan Ruitier. Voilà désormais un beau sentier de montagne qui nous conduit à l’Alpage du Glacier (2158 m) et son Lac. Le Refuge Deffeyes à la côte 2494 m marque le début d’un univers proche de la haute montagne… et révèle un panorama déjà somptueux sur le Grand Assaly (3172 m) et sur le Rutor (3486 m). Une petite collation. Le sentier traverse l’Alpage du Rutor et la Combe des Usselettes. Un superbe vallon ! Je progresse bien pour atteindre Passo Alto (Haut Pas) à 2857 m. C’est désormais un environnement de pierres et de rochers. 

 

  

 

  

 

 

 

 

 

 

Une bonne descente de 800 m permet de rejoindre le lieu dit « Promoud » à 2022 m. Un bref moment de répit… avant d’entamer le troisième col, celui des Crosaties (2838 m). C’est un sacré morceau avec un passage équipé pour franchir de petites barres rocheuses. A peine 35 km de parcourus… et déjà, je mesure l’ampleur du chantier que sera ce Tor des Géants ! Heureusement, au Col, la vue sur le Massif du Mont Blanc est superbe. Pour autant, je me sens déjà fatigué. Pas physiquement heureusement. Mais j’ai envie de dormir. Je pense que l’altitude y est pour beaucoup. Et j’avais déjà un déficit de sommeil avant le départ de l’épreuve… et mes craintes se confirment. Va falloir que je me repose plus vite que prévu… ce que je fais quelques minutes auprès du Lac de Fond (2338 m). 

 

 

 

 

 

 


 

Mais le temps commence à changer. Il pleut désormais. Les organisateurs l’avaient annoncé. Risque d’orage confirmé. Je poursuis ma descente vers Planaval, puis je continue jusqu’à Valgrisenche (km 48,6 km), la première base vie, que j’atteins un peu avant 20h, soit 10 heures après le départ. Déjà 3750 m d+ dans les jambes et 3295 m-. Une bonne douche. Je m’allonge un peu… mais je n’arrive pas à trouver le sommeil, malgré une fatigue évidente. Il y a trop de monde à cette base vie. Je décide de prendre un bon repas. Les pennes à la sauce tomate sont divines, et à 21h20, je quitte Valgrisenche.


J’entame ainsi mon « deuxième trail ». En effet, j’ai découpé le Tor des Géants suivant les 7 portions rythmées par les bases vie. Ainsi, chaque « trail » constitue un objectif. Et lorsqu’il est réalisé… je me préoccupe du prochain. C’est le Lémurien qui m’a enseigné cette pratique, et je m’y retrouve pleinement. Ces objectifs intermédiaires permettent de mieux appréhender l'épreuve dans sa globalité, de mieux gérer son effort et son mental. Et comme on monte les barreaux d'une échelle un à un, chaque « trail » est une étape pour atteindre l'objectif ultime. Les chiffres de mon « deuxième trail » parlent d’eux-mêmes ! 53,5 km, 4137m d+ et 4268 d- ! Les initiés comprendront ! 

 


 Parcours du Tor des Géants (cliquer sur l'image pour agrandir)

 

La pluie rythme mes pas à la sortie de la Base Vie. Et ça monte sec tout de suite. Je sens que ça va être difficile cette première nuit. J’avance tranquillement pour rejoindre le Refuge du Chalet de l’Epée à 2333 m. Plus de 8 km qui me sembleront une éternité. Le ravitaillement et l’accueil chaleureux me réconfortent. Je ne traine pas pour reprendre mon périple… qui prend des allures de cheminement d’outre tombe à ce moment là. Je sens déjà que je suis moins lucide. Le café a déjà perdu de son efficacité. J’arrive au Col de Fenêtre. Côte 2854 m. 60 km de fait. Déjà ou seulement ? Seulement me répond mon « autre » moi. Même pas un cinquième du total ! Je dois désormais rejoindre Rhêmes-Notre-Dame. Un beau village que je connais déjà. Mais là, je ne vois rien avec cette nuit pluvieuse.


Arrivé à Rhêmes, km 64,5, je demande à dormir 45 mn. Une pause qui me fera du bien, même si en toute sincérité, j’aurais bien prolongé mon enlacement dans les bras de Morphée. Mais il ne fallait pas. Je repars pour un Col, dont seul le nom, je ne sais pourquoi, m’effraie : le Col d’Entrelor. 6 km d’une montée, qui une nouvelle fois, me semblera d’une longueur désespérante ! Mon bonhomme de chemin, pas à pas, me fait prendre de la hauteur. Je regarde de temps à autre la montre. Le temps défile. Je remonte tout le Vallon d’Entrelor, en pensant combien le panorama doit être magnifique sur le Massif du Grand Paradis ! Ne le voyant pas, je l’imagine en rêvassant. Et me voilà enfin à ce Col d’Entrelor. Ce Col d’entre les morts. Altitude 3002 m. Au bout de quelques mètres de descente… je passe devant un Bivouac.

 

Je décide de frapper à la porte. C’est tout petit. Il y a deux bénévoles qui dormaient. Je les ai réveillés. Ils me demandent si j’ai soif. Je dis que je veux surtout dormir. Ils m’accueillent en toute hospitalité. M’offrant du coca-cola et une couverture. Une gentille petite chienne me servira même de bouillotte ! Vers 6h30, je me réveille. Que j’ai bien dormi !!! Je salue mes hôtes et les remercie de tout cœur. Ils me souhaitent bon voyage. Par un heureux hasard, j'aurai l'occasion de revoir l'un d'eux au Centre Sportif de Dolone, à la fin de mon périple. Il m'apprendra alors qu'il est Garde du Parc National du Grand Paradis… une belle rencontre, une de plus. Je me couvre bien et je sors. C’est le début du jour. Il ne pleut plus. Cet arrêt m’a permis d’éviter 3 bonnes heures de pluie. Il fait plutôt froid. J’ai désormais quitté le Val de Rhêmes… et la vue sur le Massif du Grand Paradis est superbe. 

 

 

 


 

Je reprends ma progression. Difficile au début. Je ne sais si c’est la flotte, mais les articulations du Pilou ont un peu rouillé. Heureusement, cela revient bien. Je remonte sur des participants. Je suis un peu plus frais qu’eux. On s’échange des bonjourno ! Et oui, voilà le lundi. Je passe devant le Lac Noir et le superbe Lac Djouan (2516 m). La Maison de Chasse Royale d’Orvieille (2165 m) est de toute beauté. Encore un atout de ce Tor des Géants : la richesse du patrimoine historique de la Vallée d’Aoste. Puis c’est le Village d’Eaux Rousses (1654 m) et le km 79. Il est 8h20. Je suis 131. J’ai perdu pas mal de places avec ces nombreux arrêts… mais ça ne me préoccupe en rien. 

 

 

 


 

J’entame ensuite le « gros » morceau de ce Tor des Géants : l’ascension du Col Loson, à 3299 m. Le début est plutôt tranquille, avec de bon lacets. Me voilà au cœur du Parc National du Grand Paradis. Je prends le temps de contempler les beaux panneaux sur la vie du bouquetin, l’emblème du Grand Paradis. Nous quittons ensuite la zone boisée pour rejoindre le Vallon du Lévionaz et contempler le superbe gneiss du Grand Paradis. Il reste 1000 m à monter sur 6 km. Bien sûr, c’est de plus en plus raide… pour terminer dans les pierriers, les blocs et rochers. Le Col Loson est visible depuis un long moment. Il va nous permettre de quitter le Valsavaranche pour rejoindre la Vallée de Cogne. Cogne, la deuxième base vie ! 

 

 



 

Il commence à faire vraiment chaud. Le phénomène d'inversion thermique est impressionnant (la température est plus élevée en altitude que dans la vallée). Dans cette (encore) interminable montée, je discute avec pas mal de monde. La solidarité et le partage sont exemplaires. Un peu de français, d’allemand, d’anglais, d’italien. Je me fais traileur polyglotte. La forme n’est pas encore au top, mais je sais que ça va revenir. Je croise un groupe de randonneurs qui descendent du Col et leur demande s’ils ont des pâtes de fruits. Ça me fait envie. Du coup, j’ai droit à des pâtes de fruits, des abricots secs et même du pain d’épice ! La solidarité montagnarde.

 

 


 

 

Cela me remet du baume au cœur… et bientôt, le Col Loson (3299 m) est à moi. Je profite de ces instants. La vue à 360 degrés est magnifique. La descente doit être abordée avec beaucoup de prudence. C’est assez exposé. A la brèche, il y a un bivouac où deux gardes forestiers m’accueillent avec de larges sourires. On prend le temps de discuter. Ils me demandent si quelque chose me fait envie. J’ai envie de croquer une pomme. L’un des gardes m’en offre une. Elle vient de son verger. Il est heureux de me faire ce simple plaisir. Nous parlons de la Haute Route des Géants et de la vue sur le Cervin, le Mont Rose, Castor & Pollux. Ils me disent que c’est de toute beauté. Je commence à me projeter dans ces cimes… et les saluent en repartant en courant. 

 

  

 

  

 

Que j’aime ces rencontres entre passionnés. Et sur ce Tor des Géants, il y en aura. Je continue vers le Refuge Vittorio Sella (2585 m) en traversant le plateau du Lauson. Viande séchée, saucisson, fromage… faut que je me refasse bien. Le temps est au beau soleil. Les montagnes magnifiques. Le passage à vide semble du passé. Heureusement d’ailleurs, car je commençais à penser que ce Tor des Géants n’était pas seulement surhumain, mais plutôt inhumain ! Je continue de longer le Torrent du Grand Lauson. Magnifique vue sur la Chaîne des Apôtres et ses glaciers. De nombreux troupeaux de moutons, des ruines… la montagne alpestre est vivante. Le sentier accumule des blocs où le pas fébrile peut être piégeur. Je fais donc attention. Le parcours nous fait longer un beau jardin alpin que j’aurais pris plaisir à découvrir… une autre fois. Il me reste à longer le Torrent du Valnontey… et Cogne est bientôt à moi ! 

 

 

 

 

Me voilà à la seconde base vie. Il est 16h08 ce lundi après-midi. En 139ème position. Je suis heureux. Mon ami Didier est là pour me saluer. Quel plaisir de retrouver un visage connu. Avec Sylviane, ils m’avaient accueilli avec petits soins chez eux, à Céyzériat, un jour avant le départ. Et Didier est venu pour nous encourager, moi, Laurent Tissot, qui est déjà passé depuis un bon moment et Marie. Cette présence, associé au passage symbolique des « 100 km », à la réalisation des 8000 premiers mètres de d+ et au retour du soleil, vont m’apporter un nouveau souffle. Je suis désormais pleinement immergé dans mon aventure et tout me semble possible. Je vis ce voyage intensément. Je profite de chaque instant. Je resterai 1h40 à la Base Vie de Cogne. L’occasion de se reposer et de recharger les batteries. Une leçon de ce Tor des Géants : savoir perdre du temps… permet d’en gagner ! 

   

Courmayeur – Valgrisenche - 48,6 km 3750 md+ 3295 md- : Road-Book

Valgrisenche – Cogne - 53,5 km 4137 md+ 4268 md- : Road-Book 

 

Profil du parcours réalisé (cliquer sur l'image pour agrandir)

 

La suite : 2ème Partie - Rien n’arrête les Montagnes



19/09/2011
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